Traite négrière européenne, La marche du souvenir et du repentir ? une marche de pacotille ?

Depuis plusieurs années déjà, a lieu, au Bénin, au mois de janvier, à propos de la ‘ Traite des
Noirs ‘ ( T.N. ) une « marche du souvenir et du repentir ». Il s’agit, officiellement, à travers cette marche, d’éviter que la tragédie des quatre siècles de ‘ T.N. ‘ ne tombe dans l’oubli de telle sorte qu’elle ne puisse plus se reproduire un jour, mais il s’agit également d’un acte de contrition, exprimer le vif regret d’une faute ainsi que la douleur morale que l’on ressent avec le désir d’expiation. Par ce dernier volet, l’idée serait de reconnaître sa faute afin de se faire pardonner.

D’emblée, il importe de souligner que l’initiative est louable et qu’elle mérite d’être saluée. Pour autant, cela ne peut dispenser d’aborder les questions de fonds qu’elle soulève. Car, éviter qu’à jamais la ‘ T.N. ‘ ne se reproduise sur le sol africain, nécessite que l’on sache de façon précise pourquoi elle s’était produite ; par ailleurs, dès lors que se pose la question du repentir, il importe de savoir quelle faute a été commise, par qui, comment la réparer et auprès de qui on doit solliciter le pardon.

Aucune réponse correcte à ces interrogations ne peut faire l’économie des faits historiques car la
« marche du souvenir et du repentir » s’appuie dans sa philosophie sur la version coloniale et négrière de l’histoire de la ‘ T.N. ‘ où il est généralement admis que la Traite des Noirs fut un commerce libre et que les Noirs en ont été les principaux pourvoyeurs.

Le cliché du roi nègre trafiquant d’esclaves s’est alors imposé comme une réalité.[page]

C’est ainsi que pour le commun des mortels, en Afrique, dans les Antilles, en Amérique, en Europe et ailleurs, la ‘ T.N. ‘ se résume à « la vente du nègre par le nègre » ; « les européens n’ayant rien fait d’autre que d’aller acheter des marchandises que les africains leur proposaient, que d’organiser le commerce » ainsi que le laissait entendre avec suffisance par exemple Fallope.
( Cf. J. Fallope, ‘ Le rôle de l’Afrique dans la traite négirère ‘, in Cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage, France-Antilles, n° Hors série de mai 1998, pp. 20-21 ).

Pourtant les européens ont directement organisé des razzias sur le continent et y ont installé des relais sûrs. Pourtant aussi les africains n’ont pas applaudi la Traite. Si « le commerce libre » est alors une version tronquée des faits comme le rappelait fort judicieusement Delanon ( CF. Rapport à la Commission des lois constitutionnelles et de l’administration, 1998 ), nous devons en revanche nous demander comment pendant quatre siècles, la traite négrière conduite par les européens a pu s’imposer aux nègres sur leur terre. L’histoire n’étant qu’une somme de détails, il importe de rappeler ici quelques uns de ces détails afin que les vérités enterrées rejaillissent…
( CF. K. Logossah, ‘ Traite des Noirs : qui est responsable ? ‘ Antilla, n° 787, juil. 1998, pp. 19 – 23 ; K. Logossah, ‘ La traite et l’Afrique : le pourquoi et les conséquences ‘, Antilla, n°788, juil. 1998, pp. 25 – 27 ; K. Logossah, ‘ Les effets de la traite en Afrique subsaharienne ‘, Antilla n° 790, juil. 1998, pp. 24 – 29 )
et que tous les enseignements puissent être tirés.

La traite négrière fut commanditée par l’église chrétienne.

Lorsqu’en effet les portugais initiaient la ‘ Traite des Noirs ‘ en Afrique subsaharienne en l’an 1441, comme en font largement foi les récits des marins portugais d’alors ( De Zurara, Diego Gomez, Cadamosto, P. Peirera etc… ), c’était bien une guerre sainte qu’ils menaient contre les habitants de ce continent dans le prolongement de la prise de Ceuta.
( Unesco : L. Da Vega Pinto in « la traite négrière du XVè au XIXè siècle », in La traite négrière du XIVè au XVIè siècle, Unesco, Paris, 1985 ).

C’est donc par des expéditions militaires contre des populations paisibles, expéditions dont l’instigateur était Henri Le Navigateur, que les portugais allaient directement capturer des africains « païens » sur le continent pour soi-disant les ramener à Dieu. Cette guerre sainte était d’ailleurs approuvée, autorisée et commanditée par l’église chrétienne.

Ainsi, c’est d’abord au pape Gabriele Condulmer dit Eugène IV que les razzieurs portugais offraient une partie des premiers africains capturés et faits esclaves en 1441 au cap Bojador sur la cote occidentale africaine.[page]

Mais c’est principalement via le fameux agiornamento du 8 janvier 1454 que l’église chrétienne catholique commanditera définitivement les razzias des nègres africains par les européens.

En effet, l’auteur de cet agiornamento, qui n’était autre que le pape Tommaso Parentuccelli dit Nicholas V, y accorda officiellement au roi Alphonse V du Portugal le droit de s’emparer des terres en Afrique et d’y réduire les païens en esclavage, tandis que par le traité de Tordesillas signé en 1494, le pape Rodrigo Borgia dit Alexandre VI partagea le monde entre le Portugal et L’Espagne… au Portugal le pape donna l’Asie, l’Afrique, et le Brésil et à l’Espagne le reste de l’Amérique ; par ailleurs tout au long des 4 siècles que va durer la ‘ Traite des Noirs ‘, l’église chrétienne, qu’elle soit protestante ou catholique, couvrira moralement l’opération et pratiquera la traite elle-même.

Ainsi par exemple, au royaume du Kongo, en ce début de XVIème siècle où le roi N’zinga Mvemba dit Afonso 1er s’était ouvertement opposé à la traite négrière conduite par les européens ( Les nombreux courriers de protestation que le souverain adressait tant au roi Jean III du Portugal et au Pape à l’époque font foi. CF. A. Hochschild, ‘ Les fantômes du roi Léopold ‘, Belfond, Paris 1998 ), ce furent les missionnaires catholiques portugais qui la pratiquaient, sans scrupule, ces missionnaires chrétiens portugais capturaient et vendaient jusqu’aux « fidèles » qui se convertissaient au christianisme, qui venaient au catéchisme ou à l’école chez eux, qui venaient se confier à eux.

Et pour avoir les coudées franches pour se livrer à leur basse besogne, ces missionnaires chrétiens organisèrent un attentat contre le roi Nzinga dans les enceintes mêmes de l’église, le dimanche de pâques de l’année 1526, alors que le roi était à l’église, en plein office religieux, les portugais tirèrent sur lui à bout portant, le roi sortit blessé de l’attentat tandis qu’un de ses conseillers succomba.

Ces mêmes missionnaires portugais chrétiens, n’hésiteront pas, plus tard au 18 ème siècle au mois de juillet de l’année 1706 à assassiner, en la brûlant vive, avec la bénédiction de l’autorité papale, Kimpa Vita, cette jeune fille du Kongo qui s’opposait à la traite négrière qu’ils pratiquaient dans son pays etc…

Nous pouvons multiplier ces récits à souhait ; précisions seulement ici que bien que des voies individuelles chrétiennes se furent levées pour condamner la traite négrière orchestrée par l’Europe chrétienne, la décision d’excommunier les fidèles chrétiens qui pratiquaient la ‘ Traite des Noirs ‘ n’a été prise par l’église catholique qu’en 1839 avec le pape Bartoloméo Alberto Capellari dit Grégoire XVI, au moment où de nombreuses nations avaient déjà aboli la Traite.

Revenons à la guerre sainte pour mentionner, avec le marin portugais du XVème siècle Ca Da Mosto, qu’outre le rapt, elle s’appuyait sur le dressage des anciens esclaves, on baptisait des esclaves, on leur[page]

apprenait le portugais et on les ramenait en Afrique chez eux en leur promettant la liberté si chacun d’eux ramenait 4 esclaves. C’est ainsi que naquirent les éléments primitifs de ce que l’historiographie officielle de la ‘ Traite des Noirs ‘ dénommera « les rois nègres trafiquants d’esclaves ».

Les européens créèrent des princes marchands d’esclaves en Afrique noire… Cependant l’essentiel des princes marchands d’esclaves qui ont sévi sur les côtes africaines et qui seront l’une des pièces maîtresses du dispositif négrier, fut constitué des membres des colonies de peuplement que les portugais avaient installées en Afrique, lesquelles colonies étaient spécialisées dans les rabattages, les razzias ; l’une des premières colonies de ce genre fut installée sur l’île de Sao Tomé et Principe dès les années 1470 ( CF. J. B ; Ballong-Wen-Mewuda, ‘ Le commerce portugais des esclaves entre la côte de l’actuel Niégéria et celle du Ghana moderne aux XVème et XVI ème siècle ‘, in ‘ De la traite à l’esclavage, Actes du colloque international sur la traite des noirs ‘, édités par S. Daget, Nantes, 1988 ) cet auteur signale qu’il eut une déportation massive d’enfants juifs séparés de leurs parents vers Sao Tome auxquels le roi du Portugal ajouta des prisonniers et des condamnés de droit commun qu’il gratifia de terres et d’esclaves.
( CF. aussi L. Da Vega Pinto in « la traite négrière du XVè au XIXè siècle », Unesco, 1985, op. cit ).

Cette classe de chasseurs et marchands d’africains faussement « autochtones » sera grossie dès le début du XVIè siècle des redoutables lançados, bandes de criminels, assassins, débauchés, voleurs, que les portugais déversèrent sur l’Afrique. Criminels dont la mission était de conduire les guerres de [page]

razzias à l’intérieur du continent tout en s’y installant. Ces colons et leurs descendants constitueront l’autre pièce maîtresse du dispositif portugais et plus tard européen de la ‘ Traite des Noirs ‘ ( CF. Elikia M’bokolo, ‘ La dimension africaine de la traite, Monde diplomatique ‘, avril, 1998 ) et donc les plus redoutables princes marchands d’esclaves sur les côtes d’Afrique.

Ce dispositif de traite, les portugais l’ont complété et parachevé d’abord, en instituant officiellement la vente d’esclaves, dans la Chronique de Guinée, le marin portugais De Zurara nous apprend que la première vente publique d’esclaves eut lieu à Lagos le 8 août 1444 en présence de l’infant Henri le navigateur ; ensuite, par l’érection progressive de l’esclave en monnaie d’échange en Afrique à partir des années 1480.

C’est ainsi que l’esclave va devenir progressivement et définitivement une monnaie d’échange en Afrique ; dès lors, c’est à une transformation progressive et à une mutation finalement radicale de son système économique et social que l’Afrique subsaharienne sera confrontée ; la traite négrière conduite par les européens poussera et précipitera ainsi l’Afrique noire dans un nouveau système d’organisation économique et sociale qui va progressivement et définitivement se centrer sur l’activité d’esclavage.

Dés lors, progressivement les individus, les états, seront contraints d’utiliser cette monnaie dans leurs relations d’échange. Par ailleurs, la capture, l’achat/vente, la revente d’esclaves, deviendront les activités économiques centrales en Afrique, celles qui seront les plus « porteuses », les plus désignées pour tout individu désireux de s’enrichir dans la société.
( Voir Pharaon Seti, ‘ La traite négrière, pourquoi, comment et les conséquences pour l’Afrique ‘, Actes du colloque de Strasbourg, op. cit ).

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En conséquence, c’est un large pan de la société négro-africaine qui sera poussée dans la traite et contrainte d’y prendre part pour vivre et survivre.

L’apogée de ce système fut le XVIII è siècle comme le souligne Gueye. Il apparaît ainsi que les royaumes négriers africains sur lesquels s’est focalisée l’historiographie occidentale de la ‘ Traite des Noirs ‘ ne sont apparus que comme une des conséquences du système de ‘ Traite des Noirs ‘ imposé par les européens.
( Voir M. Gueye, ‘ La traite négrière à l’intérieur du continent ‘, in « La traite négrière », UNESCO, 1985, op.cit )

Il apparaît également dès lors que la relation traditionnelle de l’histoire de la traite mettant en exergue le rôle des « rois nègres trafiquants d’esclaves… sans lesquels la traite aurait été impossible » est un raccourci parfaitement inadmissible.
Les victimes de la ‘ Traite des Noirs ‘ sont aussi bien dans les Antilles, en Amérique qu’en Afrique noire…

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Comme une des conséquences de la ‘ Traite des Noirs ‘ européenne, émergera en Afrique noire, à partir des 17 ème et 18 ème siècles principalement, une traite interne, radicalement différente de l’esclavage social pré-traite, traite interne au cours de laquelle des africains seront pourchassés par d’autres africains, capturés, enlevés, vendus, revendus et déportés d’une région à l’autre, à l’intérieur du continent.

Au point que nombres d’africains actuels sont des descendants d’esclaves engendrés par cette traite interne !

Or, si ont souvent été décrits, les souffrances des captifs lors des traversées, les traitements inhumains dont ils furent victimes dans les habitations et les plantations, le traumatisme psychologique qui en est résulté, les rapports difficiles au travail, les difficultés de dialogue social, le racisme anti noir et la répartition raciale des richesses etc. dans les anciennes colonies d’esclaves, l’historiographie officielle de la ‘ Traite des Noirs ‘ demeure quasi muette sur la question des séquelles lorsqu’il s’agit de l’Afrique noire.
Pourtant ces séquelles sont aussi graves et nombreuses ici qu’ailleurs et les africains demeurés sur le continent comme leurs descendants furent dans leur grande majorité aussi victimes de la ‘ Traite des Noirs ‘ que ceux qui ont été déportés. En effet, au plan des conséquences, alors que la ‘ Traite des Noirs ‘ fut à l’échelle mondiale à l’origine d’une nouvelle organisation économique et qu’elle s’est soldée par la[page]

révolution industrielle et le développement de l’Europe à contrario, pour l’Afrique noire ce fut la régression.
( Cf. également J.E.Inikori ‘ La traite négrière et les économies atlantiques de 1451 à 1870 ‘, In La traite négrière ‘, Unesco, op. cit. CF ; aussi, A.Gemery et J.S.Hogendorn ‘ techonological change, slavery and slave trade ‘, in Dewey ; et Hopkins, ‘ studies in the economic history of India and Africa ‘, Athlone Press, london ; Voir aussi R. Davis ‘ English foreign trade 1700-1774, Economic history review ‘, 2è sér., vol XV, 1962. ),

La ‘ Traite des Noirs ‘, outre qu’elle fut une saignée humaine qui vida littéralement l’Afrique de son capital humain ( Il importe de préciser que les chiffres de 14 à 30 millions de déportés que l’on cite souvent, ne constituent que des hypothèses de travail contrairement à ce que laissent croire certaines publications ; voir ici la certitude suffisante affichée de S. Smith dans ‘ Négrologie ‘, Karthala, 2004 ) ;

il est ainsi largement reconnu que les chiffres de Curtin sous-estiment de loin la réalité malgré le fait qu’ils restent abondamment cités.

Il faut d’ailleurs mentionner ici ( voir Ph. Seti, ‘ La traite négrière, pourquoi, comment et conséquences pour l’Afrique ‘, in ‘ Esclavage et servitude d’hier et d’aujourd’hui ‘, actes du colloque de Strasbourg, 29-30 mai 1998, pp. 15-34 ) que l’une des investigations les plus sérieuses en matière d’évaluation des conséquences démographiques de la traite négrière en Afrique subsaharienne est le travail réalisé par Diop-Maes qui montre qu’entre le début et la fin de la traite des noirs, l’Afrique Noire aurait perdu 400 millions d’âmes ( voir L. M. Diop-Maes, ‘ Evolution de la population de l’Afrique Noire ‘, du néolithique au milieu du 20 ème siècle, Ankh, n°2, avril 1993 ) était en effet pendant 400 ans au moins ( 1441 à 1848 ) une recrudescence de guerres, razzias et rapts, de chasse à l’homme permanente qui vont provoquer l’arrêt des nombreuses activités productives que signalaient les voyageurs arabes des XIè au XIVè siècles ( Voir El Bekri ou Ibn Batuta par exemple ) le déclin et la fermeture des universités comme celle de Tombouctou et Djenné…

Par ailleurs, la ‘ Traite des Noirs ‘ c’était aussi 400 ans d’insécurité généralisée et permanente, 400 ans de fuite permanente des populations vers des lieux d’habitation sûrs, pour certaines populations, ce fut des siècles de vie isolée dans des forêts touffues, dans des arbres, pour d’autres, des siècles de vie dans des trous, pour d’autres encore des siècles de vie sur des fleuves etc… Il en est résulté l’éparpillement et l’isolement des populations, d’où progressivement le déclin des villes, la réapparition de la vie sauvage à grande échelle, la différenciation des mœurs, coutumes, entraînant l’émergence de nouvelles langues, « ethnies » ; d’où aussi la perte de la mémoire collective, l’encrage de l’esprit de division, la déliquescence sociale etc…[page]

Les individus, les groupes, les communautés, vont vivre dans une méfiance excessive et morbide les uns des autres, chacun considérant l’autre comme son plus grand ennemi. C’est de cette société folle qu’héritera l’Afrique noire post-traite.

L’Afrique noire actuelle est donc une société profondément traumatisée, toujours folle en partie, où la mémoire collective est perdue, et où les individus reproduisent largement des comportements hérités de la période de traite négrière, l’esprit étriqué des gouvernants africains actuels, qui ne voient que l’intérêt de leur région, de leur groupe « ethnique » ou familial et se comportent en véritables chefs de tribus et non en chefs d’Etat ; le peu de confiance mutuelle entre africains aujourd’hui, ceux-ci préférant entre leurs voisins et l’étranger venu de loin, ce dernier ; les nombreux conflits armées et les épisodiques hystéries de haine collective comme celle du Rwanda en 1994 etc…

C’est le même rapport de méfiance et de haine réciproque que la ‘ Traite des Noirs ‘ instaure en définitive entre les négro-africains du continent et ceux de la diaspora, notamment des Antilles, de l’Amérique à l’océan indien. On comprend dès lors l’ampleur des difficultés auxquelles les négro-africains, du continent ou de la diaspora, sont aujourd’hui confrontés et la portée des défis qu’ils doivent donc relever.

Mais à quel moment ces nombreux problèmes dus à la ‘ Traite des Noirs ‘ ont-ils été posés et résolus tant dans l’Afrique Noire que dans les territoires de la diaspora, post-traite ?

Jamais !

Dans ces conditions, il est clair que les « marches du souvenir et du repentir » pourront se succéder à l’infini, les difficultés persisteront !

Les africains n’ont pas applaudi la traite négrière…

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« Vous nous avez vendus et vous n’avez rien fait contre notre mise en esclavage » telles sont quelques unes des accusations traditionnelles que lancent souvent les nègres de la diaspora à l’adresse de ceux du continent, notamment dans les Antilles, en Amérique, dans l’Océan indien…
De telles accusations ne reposent en fait que sur la version négrière et coloniale de l’histoire de la
‘ Traite des Noirs ‘ par laquelle nombre de nègres, qu’ils soient de la diaspora ou du continent, sont aliénés.

Ces accusations reposent également sur plusieurs siècles d’éducation négrière et coloniales inculquée à nos ancêtres dans les plantations et habitions négrières. Car en réalité la ‘ Traite des Noirs ‘ s’est heurtée à de vives résistances de la part de rois, peuples et populations africaines et ce, dès le début, comme le soulignaient les témoins oculaires que furent les marins portugais du XV è siècle notamment, Diego Gomez dans De Prima inventione Guinée ou Gomez Eanes De Zurara ou encore Pacheicho Pereira etc…

Résistances armées comme celles des bijago en guinée, des hommes de besagishi à l’Ouest de l’Afrique, des Jaga, des Lounda, des Imbagala en Afrique centrale ;

résistance armée conduite pendant une trentaine d’année par la reine N’zinga d’Angola ; etc…
( D. O. Lara ‘ Résistances et esclavages de l’Afrique aux Amériques noires ‘, in La traite négrière du XVé au XIXè siècle, Unesco, op. cit. )

Qui ignore qu’avant de devenir un royaume négrier, le royaume du Dahomey fut anti-esclavagiste ?

En effet, le premier acte posé par le royaume du Dahomey dès sa constitution au 17 è siècle fut d’envahir le marché négrier de Ouidah et d’y faire cesser le trafic humain durant une décennie, les marcheurs du « souvenir et du repentir » ont-t-ils jamais pris toute la mesure, tiré tous les enseignements, de la transformation radicale qu’a connue ce royaume, transformation qui, du reste, fut monnaie courante en Afrique pendant la ‘ Traite des Noirs ‘ ?

Poursuivons sur le chapitre des résistances pour mentionner les attaques permanentes menées à main nue par des populations côtières contre les navires négriers, attaques dont les archives de la ‘ Traite des Noirs ‘ ont révélé récemment l’effectivité.

Signalons en outre les résistances plus pacifiques, du roi congolais du 16è siècle N’zinga Mvemba à travers ses lettres de protestations auprès du roi Jean III du Portugal ainsi que de l’autorité papale ; signalons enfin la résistance héroïque de la jeune congolaise Kimpa vita qui, parce que prêchant le refus de la ‘ Traite des Noirs ‘, fut brûlée vive en juillet 1706 par les missionnaires chrétiens portugais[page]

opérant au Kongo etc… Ces résistances, il faut le souligner, se prolongeaient dans les bateaux, sur les plantations, au point qu’il est à peine exagéré d’y voir le virus fondamental qui a progressivement rongé et anéanti le système de la ‘ Traite des Noirs ‘…

Qui a oublié que plus des deux tiers des esclaves qui menèrent victorieusement l’insurrection de Saint Domingue, et battu dans une guerre classique l’armée napoléonienne en ce début du 19 è siècle, étaient nés sur le continent africain ?

Et qui ignore le rôle clé qu’a joué cette victoire des esclaves de Saint Domingue dans le processus de démantèlement de la T.N. ? La repentance, un acte futile ? Il est donc clair que si la ‘ Traite des Noirs ‘ s’est imposée et a duré 4 siècles en Afrique, ce ne fut pas par simple absence de résistance. Ce ne fut pas non plus par simple cupidité de « rois nègres » désireux de s’enrichir. Dans ces conditions la croyance selon laquelle « ce sont les africains eux-mêmes qui furent responsables de la ‘ Traite des Noirs ‘ » car ce sont « leurs rois qui vendaient les esclaves » ou encore ce sont « les nègres qui vendaient les nègres » reste profondément erronée.

Car, nous l’avions montré, la société africaine avait été littéralement poussée et contrainte de prendre part à la ‘ Traite des Noirs ‘ conduite par les européens. Par ailleurs les « vous nous avez vendus » ou
« nous vous avons vendus » auxquels croient la grande majorité des nègres de la diaspora et du continent, lesquelles croyances restent l’un des fondements philosophiques de la « marche pour le souvenir et le repentir » ne reposent que sur l’aliénation produite par l’éducation négrière et coloniale.

Car en réalité les faits historiques montrent que les descendants des razzieurs et vendeurs nègres d’esclaves de la « société folle » ne se trouvent pas qu’en Afrique noire, ils sont aussi bien en Amérique, aux Antilles, dans l’Océan indien etc… En effet dans « la société folle » que connut l’Afrique principalement aux 17è et 18è siècles, de nombreux rabatteurs, capteurs, vendeurs, revendeurs, nègres d’esclaves furent eux-mêmes « raptés », capturés, vendus etc… et se sont retrouvés comme esclaves dans les Antilles, en Amérique, dans l’Océan indien etc… ; les rabatteurs, vendeurs, revendeurs nègres ne jouissaient d’aucune sécurité particulière dans le banditisme orchestré alors par les européens sous la dénomination de la traite négrière de telle sorte que nombre de nègres contemporains de la diaspora, descendants d’esclaves, sont aussi des descendants de rabatteurs, vendeurs, revendeurs d’ esclaves !

Et dans la plupart des colonies ( aux Antilles, en Amérique, etc… ) nombreux étaient les esclaves affranchis qui devenaient des maîtres esclavagistes, possédant et utilisant des esclaves aussi bien dans leurs habitations que dans leurs plantations. Dans ces conditions, si la faute commise était « la vente des nègres par les nègres », cette faute serait commune aux ancêtres des négro-africains actuels du continent et de la diaspora.[page]

Il est alors vain et parfaitement futile qu’une partie des nègres ( née sur le continent ) cherche à se repentir auprès d’une autre ( née hors du continent africain ) pour soit disant vouloir résoudre les problèmes engendrés par la ‘ Traite des Noirs ‘.

La réconciliation entre nègres post-traite que nous appelons de nos vœux ne peut et ne doit reposer ni sur le complexe, ni sur l’ignorance et l’aliénation, les problèmes doivent être posés et résolus à la lumière des faits ; des débats doivent donc s’ouvrir largement aussi bien sur le continent que dans les territoires de la diaspora et aucune question ne doit être évacuée.

La faute fondamentale, la faiblesse militaire de l’Afrique et les défaillances de l’éthique négro-africaine Les récits précédents, tout en montrant que la faute commise par nos ancêtres n’est pas ce l’on croit d’habitude laissent cependant transparaître de nombreuses interrogations dont deux au moins nous paraissant cruciales :

1) Pourquoi malgré les résistances, lesquelles exprimaient bien l’opposition des africains à la ‘ Traite des Noirs ‘, celle-ci a pu se poursuivre pendant 4 siècles ?[page]

2) Comment une société opposée dans sa majorité au système de ‘ Traite des Noirs ‘ conduite par les européens a-t-elle pu permettre que s’installent en son sein des bandits, comme les lançados, qui se livraient aux razzias, capturaient les nègres et les vendaient au vu et au su de tous les membres de la société ?

S’agissant de la première interrogation, il n’y a pas dix mille réponses à apporter, c’est que militairement l’Afrique noire était faible face aux européens.
La faute essentielle commise par nos ancêtres fut alors d’avoir été incapables de mettre en place un système de sécurité en mesure de dissuader, de stopper et d’anéantir les agressions étrangères.

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Or, cette question cruciale, nous dirons vitale, de sécurité du continent semble complètement oubliée et ignorée par les marcheurs « du souvenir et du repentir ». N’avons-nous pas affaire dès lors à une véritable « marche de pacotille » ? En effet, si aujourd’hui ou demain les européens décident de recommencer la ‘ Traite des Noirs ‘ en Afrique noire qu’est-ce qui peut véritablement les en empêcher ?

Qu’est-ce qui garantit que le drame ne puisse plus se reproduire un jour dans ce contexte de vulnérabilité extrême de l’Afrique noire ? Nos pleurs ? Notre sens particulier de l’art de la génuflexion ? Nos « marche du souvenir et du repentir » ? Quand arrêterons-nous de prendre nos rêves pour la
réalité ?

En vérité, qu’il s’agisse de notre première ou deuxième interrogation, les réponses renvoient indubitablement à l’éthique sociale négro-africaine, au système des valeurs et à la vision du monde, négro-africains. C’est là fondamentalement qu’il faut rechercher les germes primitifs des erreurs historiques de nos ancêtres.

Nous indexons en particulier ce système des valeurs fondé sur le triptyque Amour – Vérité – Justice.

En effet, drapés de ce triptyque, nos ancêtres n’avaient plus les yeux ouverts sur les réalités du monde qui les entouraient, notamment sur l’hostilité, la volonté et la capacité réelles de nuisance des peuples qui les entouraient. Du culte de l’amour universel ( mais également de la vérité et de la justice ), nos ancêtres s’installent, se vautrent définitivement dans le culte de l’hospitalité et de l’étranger…

A titre d’illustration nous pouvons mentionner les vœux formulés par Komboro, roi de Djenné, au moment de sa conversion à l’islam :

« – que celui qui, chassé de son pays par l’indigence et la misère, viendrait habiter cette ville, y trouvât en échange, grâce à Dieu, abondance et richesse, de façon qu’il oubliât son ancienne patrie ;

– que la ville fut peuplée d’un nombre d’étrangers supérieur à celui de ses nationaux. »
( Voir C. A. Diop, l’Afrique noire précoloniale, p. 96 )

En conséquence la garde est baissée au plus bas, les dangers venant de l’extérieur sont faiblement perçus et alors la question cruciale de sécurité du continent n’est qu’inadéquatement abordée et traitée. Ce n’est donc pas par hasard si les négro-africains actuels, lorsqu’ils cherchent les voies et moyens devant faire en sorte que le « drame ne se reproduise plus un jour » oublient quasi-complètement la question fondamentale de la sécurité. C’est donc désormais à la révision de leur éthique et de leur vision du monde que les négro-africains contemporains doivent s’atteler ; ils doivent de cette révision[page]

tirer tous les enseignements qui s’imposent s’ils veulent qu’un jour la « traite négrière ne se reproduise plus sur leur sol ». Car c’est là que réside en définitive la « faute commise par leurs
ancêtres ».

Mais cette faute-là est commune aux ancêtres des négro-africains du continent, des Antilles, de l’Amérique etc… Or, si la « marche pour le souvenir » peut contribuer à apporter des solutions adéquates au problème, en rappelant en permanence les faits, en rappelant en permanence que les responsabilités réelles des négro-africains résident dans certaines déficiences de leur propre vision du monde, il apparaît en revanche qu’une « marche pour le repentir » n’y a qu’une valeur de pacotille.