L’ouverture d’une instruction judiciaire, après le dépôt au Tribunal des armées de Paris ( T.A.P. ) d’une plainte contre X pour « complicité de génocide », semble aujourd’hui inéluctable.
La teneur des témoignages recueillis, gravissimes puisque des militaires français participant à l’opération « Turquoise », déclenchée en juin 1994 au Rwanda, se voient accusés d’avoir assisté passivement à des exactions et même d’avoir tué des réfugiés, ne laisse guère d’échappatoire. Les dépositions des plaignants ont été enregistrées sur procès-verbal le 22 et 23 novembre à Kigali par la juge d’instruction Brigitte Raynaud, du Tribunal des armées de Paris ( T.A.P. ).
Six Rwandais, cinq hommes et une femme, ont alors confirmé leurs témoignages. Reproduites en partie dans la presse, les accusations sont terribles. « Nous avons été assaillis et pourchassés par les miliciens et j’affirme que les militaires français assistaient dans leurs véhicules à la scène sans rien faire », déclare Innocent Gisanura, 14 ans en 1994. Un autre plaignant, Auréa Mukakalisa, une femme âgée de 27 ans en 1994, assure avoir assisté aux événements suivants au camp de Murambi : « Des miliciens hutus entraient dans le camp et désignaient des Tutsis que les militaires français obligeaient à sortir du camp. J’ai vu les miliciens tuer les Tutsis qui étaient sortis du camp. »
Réagissant à ces mises en cause, le ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a déclaré trouver « inadmissible que les militaires français puissent être accusés de choses qui, la plupart du temps, sont complètement farfelues ».
Il devrait donc revenir à la justice de faire le tri entre de possibles « éléments farfelus » et d’éventuels éléments plus sérieux. Pour ce faire, l’ouverture d’une information judiciaire paraît s’imposer.
Cette affaire est extrêmement sensible. Voici moins d’un mois, le ministère de la Défense était directement intervenu auprès du juge Brigitte Raynaud, afin de la dissuader de se rendre au Rwanda, où elle entendait, compléter et enregistrer sur procès-verbal les témoignages déposés à Paris. L’ambassadeur de France à Kigali, Dominique Decherf, avait alors dû intervenir pour rendre possible le déplacement du magistrat.
La plainte déposée le 16 février par deux avocats, Antoine Comte et William Bourdon, vise l’opération « Turquoise », déclenchée en juin 1994, mais aussi le rôle de Paris au Rwanda de 1990 à 1994, années durant lesquelles « la présence française » au Rwanda « est à la limite de l’engagement direct », a constaté en 1998 une mission d’information de l’Assemblée nationale. La plainte n’épargne pas les responsables au plus haut niveau de l’Etat français.
Une note, datant du 28 avril 1994 et émanant du conseiller Afrique de l’Elysée, est ainsi citée. Tout comme une autre, datée du 6 mai 1994, rédigée par le chef d’état-major particulier ( E.M.P. ) de François Mitterrand.
( ‘ Le Figaro ‘ Patrick de Saint-Exupéry avec A.F.P. décembre 2005 )