Rosa Parks.

L’un des dix grands moments de l’histoire des noirs américains….

Un chauffeur s’énerve, réitère son ordre ; et, à chaque fois, la dame aux lunettes perchées sur un doux visage, répète avec la même amabilité tranquille :  » Non je ne me lèverais pas. « 

Rosa Parks ( 1913 – 2005 ) à la place d’un blanc dans un bus à Montgomery en Alabama en 1956.

Montgomery, sur les rives du fleuve Alabama, était demeurée cruellement fidèle au passé, aux valeurs traditionnelles du Sud.

La guerre de Sécession avait glissé sur elle comme une inondation, qui se retire en laissant le paysage à peu près intact, l’invasion nordiste avait eu lieu, elle s’était retirée et la « suprématie » blanche était toujours là, présente, à tous les instants de la vie.

I) – Une femme noire parmi des millions…

En 1955, pour les 50000 Noirs qui habitaient la ville, le 20ème siècle n’avait pas encore commencé.

Tels les pestiférés du Moyen âge, ils ne pouvaient boire aux fontaines publiques, par exemple, ni s’asseoir dans la salle des restaurants ; et, ce qui était une gêne considérable pour beaucoup[page]

d’entres eux, ils étaient également relégués à l’arrière des autobus.

Réservées aux seuls Blancs, les quatre premières rangées de sièges leur étaient interdites.

Et même la partie « noire » de l’autobus ne leur appartenait pas… en cas d’affluence, les passagers noirs devaient se lever pour les Blancs, afin que ces derniers puissent s’asseoir.

Rosa Parks avait alors quarante-deux ans, et ce genre de visage éthéré que l’on voit parfois chez certaines vieilles demoiselles apparemment retirées de l’existence ; mais elle portait un anneau d’or au doigt et, sous la douceur apparente de son regard, sous sa placidité, étincelait par instants une lueur de détermination folle.

Elle était née à Tuskegee, au sud-est de Montgomery, dans une région où le lynchage faisait partie de la vie quotidienne.

Son grand-père avait toujours un fusil de chasse à portée de main, afin de pouvoir protéger sa famille, et l’angoisse empêchait souvent l’enfant de fermer l’œil ; elle y gagna une insomnie chronique, qui la poursuivit tout au long de sa vie.

II) – Couturiere chez un tailleur…

Oui, elle est grande et mince, Rosa Parks, mais son dos est prématurément voûté par les années passées devant sa machine à coudre ; ses études, ses diplômes n’ont servi de rien, elle est couturière, première main chez un tailleur.

À Montgomery, elle utilise le moins possible les ascenseurs réservés aux Noirs, elle préfère prendre l’escalier. Elle ne boit guère aux fontaines publiques, elle préfère endurer la soif. Et plutôt que de se soumettre au régime des autobus, la dame au visage éthéré rentre souvent chez elle à pied paisiblement, les traits refermés sur son orage intérieur.

Le plus pénible pour elle, l’insupportable, est de voir l’attitude innocente des petits enfants dans l’autobus.

Ils ne comprennent pas encore, un siège pour eux est un siège, et ils s’asseyent promptement aux places inoccupées. Scandale… les mères les entraînent et les empoignent en toute hâte à l’arrière de la voiture.[page]

Rosa Parks rentre souvent chez elle à pied. Le 1er décembre 1955 vers 17h30, Rosa Parks achève son travail de couture au Montgomery Fair, l’un des plus grands magasins de la ville. Elle quitte les lieux à la nuit tombante. Dehors, Square Court est festonné d’innombrables lumières de Noel, rouges et vertes.

C’est là que s’effectuaient autrefois les ventes aux enchères d’esclaves ; et, aujourd’hui, une grande banderole se dresse contre une façade :

« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté… »

III) – Le 1er decembre 1955 marquera une des dates les plus importantes de l’histoire des noirs américains…

Debout depuis l’aube, la bouche pleine d’épingles, Rosa Parks ressent tout à coup que la journée a été longue, inexplicablement longue… ses pieds endoloris lui pèsent, elle songe à prendre l’autobus en direction de Cheveland Avenue. Elle songe à prendre l’autobus et hésite, fait quelques pas dans un rêve, elle n’imagine pas que, par elle, par cette petite douleur à son cou et à ses épaules, par ses pieds si endoloris, la journée du 1er décembre 1955 marquera une des dix dates, un des dix moments les plus importants de l’histoire des Noirs américains, depuis le débarquement de quelques esclaves à Jameson, en 1607.

Rosa Parks monte dans l’autobus, trouve une place à l’avant des sièges réservés aux Noirs.
Arrêt… quelques Blancs montent et l’autobus se remplit.
Arrêt… un dernier Blanc se présente et le chauffeur donne ordre à Mme Parks de lui céder sa place. Elle n’a rien prémédité.

Elle dit simplement, sans élever la voix :

–  » Non je ne me lèverais pas. « 

Le chauffeur s’énerve :

–  » Levez-vous et filez à l’arrière !!! « 

il réitère son ordre ; à, chaque fois, la voix de la dame aux cheveux soignées, aux lunettes perchées sur un doux visage, répète avec la même amabilité tranquille :

–  » No I’m not going to move.  » ( non je ne me lèverais pas. )[page]

Le chauffeur appelle la police, qui amène la bonne dame au palais de justice, où procès-verbal est dressé, contre elle pour infraction à l’ordonnance municipale sur la séparation des races.

On prend ses empreintes digitales et on la jette en prison. Pendant ce temps, le téléphone sonne dans tous les quartiers noirs de Montgomery.

Un ami se porte garant pour Rosa Parks et la ramène à son domicile, où se tient une réunion des militants de la N.A.A.C.P.

Comme le dit Coretta King :

« Ce fut une combustion spontanée ; brusquement, après un siècle, tous les Noirs de Montgomery en avaient assez. »

IV) – Le combat des noirs de montgomery…

Dans son appartement, on prépare la défense de Mme Parks dont l’affaire sera portée le lundi suivant devant les tribunaux.

Le lendemain, Mme Parks se rend à son travail comme à l’ordinaire.

Puis le soir venu, elle assiste à une réunion des dirigeants de la communauté noire, présidée par un pasteur baptiste de 37 ans, Martin Luther King.

Elle souscrit à la décision finale… boycottage des autobus de la ville pour le lundi 5 décembre. Un article fielleux de l’  » Advertiser « , l’un des deux principaux journaux de Montgomery, donne à la décision une publicité inespérée.

Le boycottage est parfaitement exécuté, de la fenêtre de son appartement, Rosa Parks voit les autobus circuler sans aucun passager noir.
Désormais, tout les matins, les rues de Montgomery, offrent un étrange spectacle. Des milliers de gens se rendent à pied vers leur lieu de travail, les uns avec une expression humble et têtu comme pour répondre à une sorte de défi invisible.

Des transports d’urgence s’organisent. Des centaines de voitures privées font le relais entre le centre de la ville et sa périphérie.[page]

Les églises noires se procurent des stations-wagons, où, entassés au maximum, les gens chantent des hymnes tout au long du trajet. Cependant, tous ces efforts ne suffisent pas et des milliers de Noirs continuent de marcher.

Un jour, voyant une vieille grand mère se traîner dans la rue, un journaliste lui demande si elle n’est pas fatiguée.

La vieille dame lui répond en souriant :

« Autrefois, mon âme était fatiguée et mes pieds se reposaient ; maintenant mes pieds se fatiguent, mais mon âme connaît le repos. »

Rosa Parks est chassée de son travail, et son mari, Roy Parks est obligé de fermer son salon de coiffure.
Le téléphone sonne jour et nuit, porteur de flot d’injures et de menaces. Puis le jury ordonne l’arrestation de 115 personnes engagés dans « l’entreprise illégale de boycottage ». Le palais de justice est envahit par une foule de Noirs fiers de leur inculpation.

Bien que n’étant pas inculpé, un des leaders de la communauté se présente spontanément, il est dans une colère folle, exige de savoir pourquoi son nom ne figure pas sur la liste d’arrestation. Rosa Parks, elle, figure en tête de cette liste d’honneur, et des centaines de journalistes et de photographes se précipitent pour assister au spectacle de sa mise en justice.

Une photo paraît en première page du  » New York Times « , on l’y voit pendant la prise de ses empreintes digitales, un air séraphique posé sur ses traits distingués.

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Le boycottage durera environ un an, 381 jours plus exactement.

Le 20 décembre 1956, l’ arrêt de la cour suprême des États Unis est mis en application, qui déclare inconstitutionnelle la ségrégation dans les autobus.

Le lendemain rapporte un reporter du New York Times :

« les Noirs rentrent dans les autobus et s’asseyent sur les premiers sièges qu’ils voient, soit à l’avant, soit à l’arrière des voitures publiques. Ils ne se lèvent pas pour céder leur place à un passager blanc, et les passagers blancs s’asseyent à coté des passagers noirs. »

V) – Le role des femmes…

La lutte fut longue et certains de ces coups les plus cruels furent réservés aux Blancs qui s’associaient à la cause des Noirs ; ainsi de Mlle Morgan, bibliothécaire à Montgomery, qui en mourut.

L’exemple de Claudette Colvin, neuf mois avant Rosa Parks !
refusa de céder sa place à un passager blanc.

La révolte tranquille de Rosa Parks avait déclenché une réaction en chaîne qui conduisit au vaste mouvement pour les droits civiques, dont elle sera une des figures les plus ardentes et les plus respectées.[page]

D’une façon générale, comme le dira une maîtresse de maison blanche :

« Les femmes noires ont été véritablement l’âme du mouvement. Chaque jour elles étaient là, à notre porte, marchant souvent depuis 3heures du matin ; et c’était comme un ruisseau qui coulait, coulait, avec une régularité exemplaire, pour s’en revenir de même le soir… »

 » Osiris Rosa Parks, tu as vu la face du Dieu AmonRa et tu brilles pour l’éternité parmi les étoiles impérissables……  » [page]

[page] Bibliographie :

 » Hommage à la femme noire « , Simone Schwarz-Bart, Éditions Consulaires, 1989.

 » Reine Nefertari «