Parenté génétique de la langue des égyptiens anciens et des langues négro-africaines.

( Comparaison Ramsès II et Tutsi d’aujourd’hui… )

Étude sur la langue égyptienne…

L’auteur de l’Article dévoile les vices cachés des travaux visant à démontrer que la langue égyptienne ancienne n’est pas une langue africaine…

I) Introduction…

La majorité de la communauté linguistique mondiale considère aujourd’hui la langue égyptienne
( pharaonique et copte ) comme appartenant au groupe linguistique de l’afro-asiatique ( également appelé chamito-sémitique ou afrasian ). D’autres linguistes voient en elle un idiome génétiquement apparenté aux langues négro-africaines modernes. On se propose ici de procéder à une brève analyse de ces deux courants et de leurs conclusions sur l’origine des Anciens Egyptiens.

II) Le Chamito-Sémitique…

En 1824, date du déchiffrage des hiéroglyphes par Champollion,l’Europe sort tout juste du XVIIIème siècle,dit  » siècle des Lumières  » transportant ses acquis philosophiques que sont notamment les théories de l’infériorité intellectuelle et morale du Noir, théories largement évoquées pour justifier la traite européenne transatlantique.[page]

Ces acquis cadrent bien évidemment fort mal avec les témoignages des auteurs gréco-latins anciens

( résumés de la manière suivante par l’égyptologue Gaston Maspero dans son histoire ancienne des peuples de l’orient :

« Au témoignage presque unanime des historiens anciens, ils appartiennent à une race africaine, qui d’abord établie en Éthiopie, sur le Nil moyen, serait descendue graduellement vers la mer en suivant le cours du fleuve » ).[page]

Sans oublier l’art égyptien ( ainsi commenté par l’illustre dessinateur Vivant Denon :  » Quant au caractère de leur figure humaine, n’empruntant rien aux autres nations, ils ont copié leur propre nature, qui est plus gracieuse que belle. […] en tout, le caractère africain, dont le nègre est la charge et peut-être le principe  » ).

L’Égypte est alors rattachée culturellement et linguistiquement au monde sémitique et proche oriental. Malgré le désir du père de l’égyptologie, Champollion, qui souhaitait que l’Égyptien ( dont le support hiéroglyphique ne transcrivait pas les voyelles ) soit vocalisé à l’aide de sa version évoluée, le copte, les égyptologues de l’époque décidèrent d’utiliser à cette fin les langues sémitiques, telles que l’hébreu et l’arabe.

C’est ce procédé arbitraire que dénonce l’égyptologue égyptien Moustafa Gadalla dans son ouvrage Exiled Egyptians, The heart of Africa, où il propose en parallèle d’utiliser pour cette vocalisation les langues négro-africaines modernes, parlées par les descendants des Égyptiens anciens sur le reste du continent noir.[page]

Le linguiste allemand Theodor Benfey entreprit en 1844 un travail de comparaison entre la langue égyptienne et les langues sémitiques. Malgré certaines réserves émises à l’endroit de ces rapprochements ( notamment de la part du grand égyptologue Wallis Budge ), des générations de comparatistes suivront cet axe de recherche jusqu’à l’établissement de la classification de Joseph Harold Greenberg ( 1955 ), classification qui a aujourd’hui la faveur de la majorité des linguistes.

Greenberg y range la langue égyptienne aux côtés des langues sémitiques, tchadiques, couchitiques et berberes.

Ce phylum repose cependant sur des concordances morphologiques, grammaticales et lexicales qui nous le verront, sont contestables.[page]

Nombreux sont ceux, depuis Benfey à avoir tenté de reconstruire l’ancêtre commun des langues chamito-sémitiques, sans succès jusqu’à présent.

C’est donc par habitude et non pas à l’appui d’une démonstration scientifique que l’on parle de
« chamito-sémitique », contrairement à la famille indo-européenne qui a été reconstruite selon la méthode de la linguistique historique comparative.

L’  » école  » chamito-sémitique a donc,nous l’avons vu, une assise raciste, ce qui ne l’empêche pas de compter en son sein des spécialistes s’en étant démarqués.[page]

C’est le cas notamment des professeurs Christopher Ehret et Helmut Satzinger. Pour Ehret,de l’université de Los Angeles, éminent historien de l’Afrique et linguiste spécialiste des langues est-africaines,

 » The first lesson of the linguistic evidence is that the basic foundations of Egyptian culture itself came from the south of Egypt. […] What emerges most strongly from the linguistic and comparative culture evidence is the extent to which Egypt ‘s culture grew from sub-Saharan roots. […] it was people from the south, from a region encompassed by-in very approximative terms- Eritrea and the southern Red Sea hills, who moved North into Egypt and brought in the primary features of a new economy and culture, along with an Afrasian language. The people of those southerly regions were most certainly  » Africans ‘
( id est Black People )[…] ‘.

Satzinger, célèbre linguiste autrichien, après avoir étudié certaines caractéristiques grammaticales en Egyptien, en Sémitique et dans les langues négro-africaines modernes en vient à la conclusion que

 » Egyptian has little resemblance to the Semitic language type. On the other hand it shares them with many African languages, both Afro-Asiatic and others, in particular languages of West-Africa. It should be remembered that this not an issue concerning genetic relationship but rather typological correspondence which may or may not, in the individual cases, be explained by genetic relationship or areal contacts « .[page]

Ces conclusions sont sans équivoque. Ainsi selon ces linguistes de renommée internationale et dont les travaux font référence au sein de la communauté linguistique mondiale, les Égyptiens anciens étaient des Noirs parlant une langue qui offre de nombreuses similitudes avec les langues négro-africaines modernes.

Ils n’expliquent cependant pas cette dernière caractéristique par une relation génétique mais par une dispersion dans le reste du continent. C’est en cela que la conception des tenants de l’afroasiatique s’écarte de celle des partisans du négro-égyptien.

III) Le négro-égyptien…

Dès 1925, le grand linguiste Français Antoine Meillet nous faisait part de son impression selon laquelle
 » toutes les langues nègres de l’Afrique reposent sur une même langue originelle « .[page]

C’est son élève Lilias Homburger qui la première tenta de démontrer au cours de plusieurs études l’unité des langues négro-africaines modernes et leur parenté avec l’Égyptien. A sa suite, le célèbre physicien, historien, anthropologue, politicien, philosophe et donc linguiste Cheikh Anta Diop mit en évidence à partir de 1954,dans son ouvrage Nation Nègres et cultures de nombreuses concordances entre l’égyptien ancien et les langues négro-africaines par l’intermédiaire de sa langue maternelle, le wolof.

Ces longues recherches linguistiques aboutiront sous la forme de deux ouvrages, l’un, Parenté génétique de l’égyptien et des langues négro-africaines publié en 1977 et l’autre, publié de manière posthume en 1988 sous le titre de  » nouvelles recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes « .

Son disciple congolais Théophile Obenga, élève notamment du grand linguiste Emile Benveniste, utilisa en 1993 la méthode comparative historique ( qui a fait ses preuves pour la reconstruction de la langue indo-européenne ) pour dégager l’ancêtre des langues égyptienne et négro-africaines
( couchitiques, tchadiques, nigero-kordofaniennes, nilo-sahariennes ) qu’il nomma le négro-égyptien dans un ouvrage intitulé  » Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes « .

Ces ouvrages de Diop et d’Obenga furent écrits à la suite des recommandations du colloque du Caire sur le peuplement de l’ancienne Égypte et le déchiffrement de l’écriture méroïtique en 1974.[page]

Ce fameux colloque réunissant une vingtaine des plus grands égyptologues de l’époque vit notamment se dérouler un débat de haute volée scientifique entre les tenants de la parenté entre l’égyptien et les langues sémitiques et les professeurs Diop et Obenga.

Le rapporteur du colloque écrit qu’à la suite du débat  » un large accord s’est établi entre les participants.

 » Les éléments apportés par les professeurs Diop et Obenga ont été considérés comme très constructifs. […] Plus largement, le professeur Sauneron a souligné l’intérêt de la méthode proposée par le professeur Obenga après le professeur Diop.
L’Égypte étant placée au point de convergence d’influences extérieures, il est normal que des emprunts aient été faits à des langues étrangères ; mais il s’agit de quelques centaines de racines sémitiques par rapport à plusieurs milliers de mots.
L’égyptien ne peut être isolé de son contexte africain et le sémitique ne rend pas compte de sa naissance ; il est donc légitime de lui trouver des parents ou des cousins en Afrique « .

A l’instar du savant Ivan Fodor qui avait fortement critiqué la classification de Greenberg en dénonçant l’absence dans celle-ci de lois de correspondances phonétiques, le professeur Obenga conteste aujourd’hui vivement la famille afro-asiatique dont il a d’ailleurs à nouveau démontré au cours de nombreuses conférences et débats contradictoires la non-véracité notamment à Dakar, à Barcelone et en Pensylvannie ( 1996 ).

Afin de démontrer cette non existence de l’afroasiatique le professeur Obenga s’appuie sur une démonstration rigoureuse des différences entre les morphologies, grammaires et lexicologies égyptiennes et sémitiques et berbères.

Pour illustrer ces différences nous avons choisi de nous référer ici à l’aspect le plus parlant pour le profane de la linguistique comparative, à savoir la lexicologie ( pour une étude plus approfondie on se reportera aux ouvrages cités en bibliographie ).

A cet effet nous avons cité ci-dessous des mots hérités du vocabulaire courant qui sont donc très difficiles à emprunter d’une langue à l’autre.

Par exemple, en égyptien,le mot  » pays, terre  » se dit « ta » ; le Sémitique donne :
>> arabe > ard
>> hébreu > eres
>> accadien > ersetu
>> ugaritique > ars.
>> quant au berbère, il donne « akal »[page]

Il apparaît ici,pour le profane comme pour le spécialiste fort difficile de relier ces trois groupes à une origine commune, à un ancêtre pré dialectal.
En revanche la forme unilitère égyptienne se retrouve intacte dans les langues négro-africaines modernes ; sous les formes suivantes : ta, to, to, u-to, tse, si, thau.

Pour le mot dieu, divinité :
>> Egyptien > ntr
>> Sémitique > al,el
>> En Négro-africain on a : Najoore, Untenu, Unteru, Naiteru, Nôro

Le mot soleil :
>> Égyptien > râ >> Sémitique > samas, shamash, sps, semes, sams >> Berbère > tfkt >> En Négro-africain on a : re, arriso, ayro, orr’ah, ra,

Ainsi pour la totalité des mots du vocabulaire courant, l’on peut comparer les mots sémitiques, égyptiens, berbères et négro-africains et voir se dégager très nettement la parenté entre les langues négro-égyptiennes et leur opposition irrémédiable avec les formes sémitiques et berbères.

IV) Conclusion…

Nous l’avons vu, à l’instar des sciences exactes, les sciences humaines telles que la linguistique confirment aujourd’hui l’origine négro-africaine des anciens Égyptiens.
Certains racistes croient aujourd’hui pouvoir nier cette réalité en citant l’appartenance de la langue égyptienne au groupe chamito-sémitique ou afro-asiatique. C’est malheureusement pour eux sans compter sur les travaux des chefs de file actuels de cette théorie qui en ont clairement établi les racines négro-africaines.
La théorie chamito-sémitique est cependant fort contestable comme l’a démontré à de très nombreuses reprises le professeur Théophile Obenga.

( Théophile Obenga )[page]

La classification de ce dernier réunit en revanche toutes les caractéristiques propres à la linguistique historique comparative et malgré quelques tentatives de dénigrement de la part de linguistes européocentristes haineux ( Bouquiaux, Vernus, Tourneux ) ne souffre pas de défauts majeurs.

Les futures générations de linguistes panafricains doivent donc, à l’instar d’Alain Anselin, de Gilbert Ngom, d’Oum Ndigi, de Clyde Winters et d’autres, se référer à cette dernière classification d’une grande rigueur scientifique et qui prouve l’unité des peuples Noirs d’Afrique de l’Égypte pharaonique au Sénégal, en passant par l’Afrique du Sud et le Congo.

Bibliographie…

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Sandro Capochichi, Linguiste, Historien