Villepin ne sera pas à la commémoration des 200 ans d’Austerlitz. L’Empereur n’a pas la cote.
Napoléon incite le sommet de l’Etat à la prudence. Et la France, qui adore plus que tout autre pays commémorer sa grandeur passée, va presque mettre en sourdine aujourd’hui le bicentenaire de la bataille d’Austerlitz qui vit, le 2 décembre 1805, les troupes de la Grande Armée mettre en déroute les forces de la coalition russe et autrichienne au terme d’un combat qui fit au moins 28 000 morts… et vénéré par tous les mordus de stratégie militaire.
Jacques Chirac n’assistera pas à l’unique célébration, prévue ce soir place Vendôme à Paris. Plus surprenant, Dominique de Villepin, admirateur de l’Empereur et auteur d’un livre intitulé les Cent-Jours ou l’esprit de sacrifice ( éd. Perrin ), a, lui aussi, décliné l’invitation. Depuis son arrivée à Matignon, il s’échine à gommer son image de maréchal d’Empire exalté au service de la Chiraquie.
Seule la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, participera à une discrète cérémonie, mais en République tchèque, près du lieu même de la bataille. Sur le même sujet Sur fond de crise du « modèle français » et de tentative de glorification du passé colonial par une partie de la droite, le contexte politique intérieur ne se prête guère à la célébration d’un personnage aussi controversé que Napoléon.
Si ses admirateurs se comptent toujours par millions à travers le monde, il est aussi l’objet, depuis près de deux siècles, de permanentes polémiques. Ces dernières semaines, son rôle dans le rétablissement de l’esclavage a été remis en avant par nombre d’associations d’outre-mer qui appellent à manifester demain à Paris « contre le révisionnisme historique et les commémorations officielles de Napoléon ».
Dans un ouvrage au vitriol ( le Crime de Napoléon, éd. Privé ), le polémiste Claude Ribbe compare l’empereur à Hitler et l’accuse de «l’extermination industrielle» de dizaines de milliers d’hommes sur des critères raciaux. Vice-présidente du Comité pour la mémoire de l’esclavage, Françoise Vergès, qui enseigne à l’université de Londres, rappelle que « c’est Napoléon qui rétablit en 1802 l’esclavage et réactive le Code noir ». « Il envoie des troupes pour écraser la rébellion à Saint-Domingue et en Guadeloupe. Non pas qu’il défende un système économique basé sur l’exploitation des Noirs mais plutôt parce que, pour lui, l’ordre compte plus que tout. Dans son esprit, il n’est pas question d’égalité avec les Noirs et encore moins d’une République noire, souligne-t-elle. C’est lui qui fait arrêter et ramener en France le général noir Toussaint-Louverture qui mourra au Fort-de-Joux en Franche-Comté, en 1803. »
Dans une sorte de consensus implicite, la classe politique française qui compte pourtant dans tous les partis nombre d’admirateurs du « Petit Corse » a senti qu’il valait mieux ne pas trop en faire à l’occasion de ce bicentenaire. Seul André Santini, député ( U.D.F. ) des Hauts-de-Seine et proche de Nicolas Sarkozy, a pris sa plume, non sans malice, pour interpeller Villepin en jouant sur la fougue du Premier[page]
ministre : « Vous qui avez, et avec quel talent, exalté le génie de Napoléon pendant les Cent-Jours, […] vous qui, en héritier du général de Gaulle, célébrez à chaque occasion la grandeur de notre pays, pouvez-vous tolérer qu’aucune célébration officielle ne soit prévue » pour le bicentenaire d’Austerlitz ? Et de préciser à Libération qu’il voit là « un signe de la France qui tombe, oublie son passé » et se sent, lui, « fatigué d’entendre que la repentance doit maintenant s’appliquer à Napoléon ».
Panache en berne, le grognard de Matignon ne lui a pas répondu.
( Libération du vendredi 02 décembre 2005 )