Montesquieu : Ange Gabriel ou Belzébuth de la cause esclavagiste ?

Le discours historique actuel, qui entoure l’œuvre et les idées de Montesquieu, nous pousse indubitablement à la réflexion, tant le romantisme semble l’emporter sur la raison. Pouvons-nous légitimement voir en Montesquieu le défenseur de l’idéal de liberté qui animait les africains déportés depuis sur leur terre par des agents négriers européens pour finir séquestrés à vie dans des camps concentrationnaires aux Amériques ou aux Antilles, dans le but d’assouvir la soif financière d’un groupe d’hommes blancs peu scrupuleux voire criminels ?

Pouvons-nous, nous descendants des victimes du « Crime contre l’humanité » que fut la traite et l’esclavage des Noirs, partager cette vision d’un Montesquieu, grand pourfendeur des intérêts impérialistes européens avec pour seule arme, son humour cynique ? Franchement, nous aimerions pouvoir le dire.

1- Montesquieu : ange Gabriel de la cause anti-esclavagiste ?

Le romantisme historique qui caractérise l’appréciation des idées « humanistes » du Baron de la Brède[page]

et de Montesquieu, que dis-je, de l’ange Gabriel Charles Louis de Secondat, semble n’avoir pour finalité que de nous faire avaler une pilule plutôt amère. Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, fut il est vrai un grand philosophe français du siècle des Lumières. Né le 18 janvier 1689 à la Brède ( Gironde ) et décédé à Paris le 10 février 1755 à 66 ans, il a laissé une œuvre littéraire prolifique que d’aucun perçoit comme le socle philosophique des sociétés modernes occidentales en terme de vision politique, d’organisation sociale et de rapports humains. Ainsi, la vision idyllique de l’œuvre de notre « Mister Jekyll » s’appuie essentiellement sur un ouvrage, l’Esprit des Lois paru en 1748, dans lequel il consacre plusieurs chapitres à l’épineux problème de l’esclavage.

L’extrait le plus révélateur de sa pensée, reste dit-on le chapitre V du Livre XV intitulé « De l’esclavage des Nègres », dans lequel il s’élève contre les actionnaires et les négociants avec un humour qui n’amuse décidément pas les descendants de victimes que nous sommes en tournant en dérision leurs arguments pro-esclavagistes. A l’époque la France foncièrement esclavagiste, ne manquait pas de faire valoir à qui voulait l’entendre, que sur tous les plans ( privés et royaux ), le commerce de « Bois d’ébène » vers les Amériques et les Antilles n’avait que des avantages.

Ci-dessous donc, le fameux plaidoyer du chapitre V :

 » Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je[page]

dirais : Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains. Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.

Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? « 

L’examen académique du texte met en exergue un réquisitoire anti-esclavagiste original ( humour cynique ), reposant sur les arguments suivants :

– Justification d’ordre historique du besoin de main d’œuvre

– Justification d’ordre économique du système esclavagiste

– Indentification de la cible du système esclavagiste… le Nègre d’Afrique

– Justification d’ordre théologique s’appuyant sur l’idée d’une mission divine

– Justification d’ordre ethno-sociologique reposant sur les divergences culturelles nord/sud[page]

– Justification d’ordre politique, ciblant la royauté. A lueur de cet extrait, pouvons-nous prétendre sans sourciller, comme bon nombre d’étudiants de classe de 1ère abusés, que ce « réquisitoire contre l’esclavage au XVIIIème siècle » prouve que Montesquieu était bel et bien la « figure de proue » des anti-racistes et qu’il fut le « révélateur de l’esprit du XVIIIème siècle où la raison, la charité et l’humanité primèrent parmi les philosophes des Lumières » ?

Gardons-nous ici d’un jugement hâtif dénué de raison et poussons plus loin notre analyse. Car au-delà de l’approche humoristique qui masque à peine une prise de position dépourvue de fermeté, il convient de se poser les questions essentielles suivantes, à savoir Montesquieu a-t-il :

– Réfuté en bloc les arguments racistes des Lumières ?

– Cherché à prouver l’inconsistance des thèses biologiques à caractères racistes ?

– Cherché à combattre le racisme historique, social, politique, théologique, scientifique ?

– Rejeté l’univers cupide et feutré des actionnaires et autres financiers de la traite ? Au risque de décevoir le « fan club » de l’ange Gabriel Montesquieu, nous allons devoir exposer au grand jour de nouvelles facettes de la « star » des Lumières.

2- Montesquieu : le Belzébuth de la cause esclavagiste ?

Tel Mister Jekill, il existe un Montesquieu alias Mister Hyde de la cause esclavagiste que l’on remarque en nous baladant à travers l’Esprit des Lois. Car ce qui caractérise l’esprit des Lumières, c’est l’habilité avec laquelle les intellectuels ont cherché à rebondir sur des pseudo-arguments raciaux, socio-culturels, historiques, biologiques, théologiques, climatiques, politiques, géographiques et financiers pour légitimer leur trafic criminel. Et là, notre Belzébuth Montesquieu est un champion des rebondissements en tout genre. Il a lui-même eu recours à toute une panoplie d’arguments anti-nègres.

a) L’argument climatique…

Prenons par exemple, la mesure de l’argumentation pro-esclavagiste dit du « climat » de Mister Hyde Montesquieu, à travers 3 extraits significatifs, Le 1er :

« Il y a des pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison. Aristote veut dire qu’il y a des esclaves par nature ; et ce qu’il dit ne le prouve guère. Je crois que, s’ il y[page]

en a de tels, ce sont ceux dont je viens de parler. Mais, comme tous les hommes naissent égaux, il faut dire que l’esclavage est contre la nature, quoique, dans certains pays il soit fondé sur la raison naturelle ; et il faut bien distinguer ces pays d’avec ceux où les raisons naturelles même les rejettent, comme les pays d’Europe où il a été si heureusement aboli ».
( Livre XV, chap. VII )

Le 2ème :

« Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens. (…) nous sentons bien que les peuples du nord, transportés dans les pays du midi, n’y ont pas fait d’aussi belles actions que leurs compatriotes qui, combattant dans leur propre climat, y jouissent de tout leur courage. (…) Vous trouverez dans les climats du nord des peuples qui ont peu de vices, assez de vertus, beaucoup de sincérité et de franchise. Approchez des pays du midi vous croirez vous éloigner de la morale même ; des passions plus vives multiplient les crimes (…) La chaleur du climat peut être si excessive que le corps y sera absolument sans force. Pour lors l’abattement passera à l’esprit même : aucune curiosité, aucune noble entreprise, aucun sentiment généreux ; les inclinations y seront toutes passives ; la paresse y sera le bonheur ».
( Livre XIV, chap. II )

Le 3ème :

« La plupart des peuples des côtes de l’Afrique sont sauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie ; ils n’ont point d’arts ; ils ont en abondance des métaux précieux qu’ils tiennent immédiatement des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, et en recevoir un très grand prix ». ( Livre XXI, chap. II )
Pour Montesquieu, le facteur climatique a une incidence particulièrement négative sur les peuples africains plus soumis à l’action du soleil, ce qui contribue à en faire des hommes paresseux, esclaves par nature, timides, peureux, sauvages, immoraux, criminels, fourbes, cupides, stupides et j’en passe.
Ainsi, dès lors qu’il induit un lien de cause à effet entre climat chaud et dégradation de la personne humaine, il participe activement à la construction du champ sémantique impérialiste qui va générer le racisme. Ces mêmes idées xénophobes, on les retrouve par exemple sous la plume du non moins célèbre philosophe allemand Friedrich Hegel (1770-1831) qui affirma que ( Cf. La raison dans l’histoire, Paris, Plon, 1965. ) :

« Le gel qui rassemble les Lapons ou la chaleur torride de l’Afrique sont des forces trop puissantes par[page]

rapport à l’homme pour que l’esprit puisse se mouvoir librement parmi elles et parvienne à la richesse qui est nécessaire à la réalisation d’une forme développée de vie (…) La zone chaude et la zone froide ne sont donc pas le théâtre de l’histoire universelle ».

C’est ce type d’idée qui a engendré la falsification puis la marginalisation de l’histoire de l’Afrique[page]

noire dans le cadre de l’histoire universelle et qui a débouché sur l’invention de l’ethno-histoire, à savoir, l’histoire des peuples sans histoire. Et nous pouvons encore citer, dans le même ordre d’idées, les pseudo-travaux d’un autre Baron, le zoologiste français Georges Cuvier ( 1769-1832 ) qui ajouta ( Cf. Georges Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, Volume 1, Paris,Deterville, 1812, p. 105. ) :

« La race nègre est confinée au midi de l’Atlas, son teint est noir, ses cheveux crépus, son crâne comprimé et son nez écrasé ; son museau saillant et ses grosses lèvres la rapprochent manifestement des singes : les peuplades qui la composent sont toujours restées barbares ».

L’argument climatique fut lui aussi usité par Emmanuel Kant, qui nous a fait découvrir au passage, une face cachée de sa personnalité ( Cf. E. Kant, Essai sur les maladies de la tête, Observation sur le sentiment du beau et du sublime, éd. Flammarion, 1990. ) :

 » Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie (…) Les Noirs (…) sont si bavards qu’il faut les séparer et les disperser à coups de bâton « .

Et comment oublier les écrits du naturaliste français Georges Buffon ( 1707-1788 ), contemporain de Montesquieu, pour qui l’homme blanc incarnait par excellence la nature humaine et les autres races ne[page]

représentaient que le produit d’une dégénérescence. Quant on sait que le climat est le principal facteur d’apparition des variétés humaines, on voit où il voulait en venir
( Cf. Buffon : Histoire naturelle de l’Homme,  » De la dégénération des animaux « , Paris, 1766, tome XIV, pp. 311-374. )

b) L’argument socio-politique…

Montesquieu déclare sans sourciller que :

« Dans les pays despotiques, où l’on est déjà fous d’esclavage politique, l’esclavage civil est plus tolérable qu’ailleurs. Chacun y doit être assez content d’y avoir la subsistance et la vie. Ainsi la condition de l’esclave n’y est guère plus à charge que la condition de sujet. Mais dans un gouvernement monarchique (…) il ne faut point d’esclaves ».
( Livre XV, Chap. I )

Par « pays despotiques », nous l’avons compris, Belzébuth Montesquieu désigne ici l’Afrique et ses civilisations. C’est précisément le même argument que l’on retrouve encore sous la plume de Cuvier qui dit à propos de la « race nègre » que c’est ( Cf. Georges Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, Volume 1, Paris,Deterville, 1812, p. 105. ) :

« La plus dégradée des races humaines, dont les formes s’approchent le plus de la brute et dont l’intelligence ne s’est élevée nulle part au point d’arriver à un gouvernement régulier ». « Gouvernement irrégulier », « pays despotiques », bref, qui se ressemblent, s’assemblent ! N’est ce pas F. Hegel, qui déclara encore que « Ce que nous appelons religion, Etat, réalité existant en soi et pour soi, valable absolument, tout cela n’existe pas encore pour eux ( Les nègres d’Afrique ) « 
( Cf. La raison dans l’histoire, Paris, Plon, 1965. )

c) L’argument de l’infériorité intellectuelle…

En parlant des peuples africains, Montesquieu mentionne qu’ils sont « sans industrie » et qu’ « ils n’ont point d’arts ». C’est à en faire pâlir de jalousie l’influent économiste anglais David Hume ( 1711-1776 ), qui révéla en ces termes, ses suspicions xénophobes ( Cf. David Hume, Sur les caractères nationaux, Volume III, 1854. Cette phrase de Hume est aussi citée par le professeur Raoul Allier, in Le Non-civilisé et nous, Paris, 1927, P. 16. ) :

« Je suspecte les Nègres et en général les autres espèces humaines d’être naturellement inférieurs à la race blanche. Il n’y a jamais eu de nation civilisée d’une autre couleur que la couleur blanche, ni[page]

d’individu illustre par ses actions ou par sa capacité de réflexion… Il n’y a chez eux ni engins manufacturés, ni art, ni science. Sans faire mention de nos colonies, il y a des Nègres esclaves dispersés à travers l’Europe, on n’a jamais découvert chez eux le moindre signe d’intelligence ».

d) L’esclavage…

un système prolifique : « Il y a des pays où l’on peut presque tout faire avec des hommes libres » écrivait Montesquieu. Et son point de vue, vis-à-vis des plantations concentrationnaires dit “ isles à sucre ” ( Guadeloupe, Haïti, Martinique, Réunion… ) où le degré de liberté variait proportionnellement au taux de mélanine des hommes, reste confus. Car pour ce dernier, l’économie du sucre induisait la traite et l’esclavage, d’où son chapitre intitulé « Comment les lois de l’esclavage ont du rapport avec la nature du climat » pour dédramatiser la situation.

Là-dessus, il poursuit en déclarant :

« Nos colonies des îles Antilles sont admirables ; elles ont des objets de commerce que nous n’avons ni ne pouvons avoir » ( Livre XXI, XXI ). Mais la plantation n’est-elle pas un terrain fertile pour tous les despotismes ? Bien sûr, aurait-il dit car : « L’esclavage n’est utile ni au maître ni à l’esclave ; à celui-ci parce qu’il ne peut rien faire par vertu ; à celui-là, parce qu’il contracte avec les esclaves toutes sortes de mauvaises habitudes, qu’il s’accoutume insensiblement à manquer à toutes les vertus morales, qu’il devient fier prompt, dur, colère, voluptueux, cruel ».
( Livre XV, Chapitre I )

Par conséquent, l’esclave étant déjà de toute façon dégradé naturellement ( à cause de son ascendance africaine ) puis dégradé socialement ( à cause de sa condition de privation de liberté ), c’est donc naturellement le maître qui à son contact, subira de plein fouet, une dépréciation vertigineuse de ses vertus morales, proportionnelle au gonflement de son porte monnaie. Ainsi, les pseudo-arguments
« climatiques », « socio-politiques », de « déficience intellectuelle » et « financiers » de Montesquieu à des fins de légitimation du système impérialiste, révèle une autre facette du personnage. Ajoutons à cela le fait que notre larron, que dis-je, Baron, était l’un des nombreux actionnaires de la Compagnie des Indes Orientales et qu’il était très connu à Bordeaux pour ses fréquentations avec le cercle des armateurs négriers et l’on devine un remake de Mister Jekill & Mister Hyde. Dans une conférence tenue en mars 2000 et intitulé « John Law, la monnaie et l’Etat » ( Conférence divulguée par l’Académie des Sciences Morales et Politiques, A.S.M.P. ), Mr Pierre Tabatoni, qui intervenait à l’Institut français d’administration publique, rappela qu’au début du XVIIIème siècle, la création d’une Banque d’Etat pour stabiliser la monnaie, était soutenue par de nombreux intellectuels français. En 1708 Samuel Bernard, banquier officiel du Trésor soutenait aussi cette idée. Il fut rejoint par Montesquieu qui en décembre 1715,[page]

présenta le projet d’une Banque générale qui réunirait « tout le commerce et le négoce sans exception » et qui « devrait pouvoir s’acquitter tous les fonds du Royaume, acquitter toutes ses dettes, prêter à tous les particuliers ». Ainsi pour notre Baron, l’économie aussi a ses raisons que la raison ne connaît point.

3- Montesquieu vs Schoelcher : qui fut un vrai anti-raciste ?

Là où on s’attendrait à un discours visant à annihiler scientifiquement et historiquement, les arguments des négriers, on s’aperçoit que Montesquieu se contente simplement de surfer sur la vague raciste des Lumières en mettant même parfois de l’huile sur le feu.

A titre de comparatif, la démarche anti-raciste de l’abolitionniste Victor Schoelcher ( 1803 – 1893 ) divergea radicalement de celle de Montesquieu.

Elle s’articulait autour de deux axes :

– Dénoncer vigoureusement l’attitude hypocrite de ceux qui déclaraient que l’esclavage des Noirs était une honte pour l’Europe mais qui avançaient des raisons financières pour conserver les choses en l’état.

– Révéler au grand jour l’inconsistance des thèses biologiques, climatiques, théologiques et socio-politiques des Lumières.[page]

Ainsi, Victor Schoelcher prit par exemple à témoin les testaments d’auteurs Grecs, tels Hérodote
( Cf. Livre II ; Hérodote ; éd. Les belles lettres. ) et Diodore de Sicile ( Cf. Livre III ; Diodore de Sicile ; éd. Les belles lettres ) à propos de l’Égypte ancienne mais aussi les notes de voyage de l’explorateur anglais Bruce :

« Les Noirs ne sont pas stupides parce qu’ils sont noirs mais parce qu’ils sont esclaves… L’Egypte doit tout aux Ethiopiens… Ils ont fondé Thèbes… Partout, ils s’occupaient d’astronomie avec ardeur. Ils ont élevé de nombreux monuments, réformé les caractères hiéroglyphiques et inventé l’alphabet syllabique… C’était le peuple le plus cultivé de l’univers. C’est eux qui fondèrent les premières écoles de sciences ».

En se référant à un article du Bulletin de la Société de Géographie de 1837, il ajouta :  » Sur la rive gauche du fleuve Sénégal, on rencontre plus de Nègres sachant lire et écrire l’arabe ( qui est pour eux une langue morte et savante ) que l’on trouverait dans nos campagnes de paysans sachant lire et
écrire « .[page]

Infatigable, il va rappeler que l’Église elle-même a canonisé plusieurs noirs, tels Ste Iphigénie ( Ste Iphigénie, vierge éthiopienne, date de fête, 21 septembre. ) qui était éthiopienne, St Estaban Extrait d’une brochure touristique, flâner par Astorga est toujours passionnant et on peut trouver dans quelque coin une agréable surprise, L’église de Saint Bartolomé, celle de Saint Andrés, le Sanctuaire de la Vierge de Fatima, le couvent de Saint François, la Chapelle de Saint Esteban, la maison des Panero… Astorga est située dans une confluence de chemins, le chemin de saint Jacques et la Route de la Plata… qui fut roi des Ethiopiens acuménites, St Antonio de Noto, avec saint Esteban, saint Antonio de Noto et saint Benoît de Palerme, sainte Iphigénie est l’un des quatre saints protecteurs des Noirs.

Elle était la fille d’un roi de Nubie. Vénérée comme protectrice contre les incendies, on trouve son image à l’église de Graça à Lisbonne.

St Maurice, Soldat romain d’origine égyptienne ( Kémèt ), Saint Maurice était un Nègre, Son nom vient de Mauron, qui, d’après Isidore, signifie noir, en grec. A la tête de la légion thébaine, il refusa d’exécuter l’ordre de l’empereur romain qui voulait faire massacrer des paysans chrétiens. Idem pour St Antoine de Caltagirone.

Ceci, pour montrer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait d’être noir et le fait d’avoir une attitude exemplaire.

Il va aussi décrire les fastes de l’empire soudanais du Ghana du XVIè siècle et la richesse de Toumbouctou à la même époque pour montrer que Noirs et Blancs, dans un état social pareil, ont un caractère pareil sans que le climat y soit pour quelque chose. Alors, « Que l’on dise plus que les nègres[page]

livrés à eux-mêmes, ne veulent plus travailler. C’est un préjugé suranné que les faits ont
renversé », conclut-il.

Enfin, pour mettre encore à mal l’argument de la déficience intellectuelle, il ressasse le parcours professionnel de Monsieur A. Wilhelm Amo ( 1703-1759 ), africain originaire de l’empire du Ghana Anton Wilhelm Amo ( 1703-1759 ), nègre originaire du Ghana qui devint docteur de l’université de Wittemberg, philosophe et enseignant aux universités de Halle et d’Iéna en Allemagne. Il fut le premier Africain noir enseignant dans une université européenne. L’allemand F. Hegel devait connaître ce fait et pourtant il a volontairement passé sous silence dans son œuvre, ancien esclave qui devint Docteur en philosophie à l’université de Wittemberg, en Allemagne et même professeur.

[page]

Que l’on ne nous dise pas que Montesquieu n’avait point le bagage culturel d’un Schoelcher, lui qui avoua que les Égyptiens, qui vivaient en Afrique sous un climat quasi-désertique, étaient « les meilleurs philosophes du monde ». Comment peut-il alors être sérieux en avançant son argument climatique ? Comment pouvait-il encore ignorer que dans la Bible, Mizraïm, à savoir l’Égypte, était bel et bien rattaché à la descendance de Cham, le fils noir de Noé. Car l’argument théologique majeur des Lumières a toujours été la malédiction de Cham et de sa descendance. Pourquoi a-t-il passé sous silence les textes anciens mentionnant l’origine éthiopienne des Égyptiens anciens ?

Ne savait-il pas que le grec Diodore de Sicile, avait établit cette parenté en ces termes ? ( Cf. Livre III ; Diodore de Sicile ; éd. Les belles lettres ) :

 » Les Éthiopiens affirment que les Égyptiens sont des colons originaires de chez eux et que cette colonie fut conduite par Osiris « .

Avec un peu de pugnacité, on découvre même que le courant philosophique « anti-nègre » des Lumières faisait l’objet d’une dualité que nous pouvons qualifier de radicale. Car si on tient compte des[page]

écrits de l’écrivain et linguiste français Fabre d’Olivet ( 1767-1825 ), relatant l’histoire des divers peuples de l’humanité, on ne relève point de propos méprisants vis-à-vis de l’Afrique ( Cf. Fabre d’Olivet, Histoire du genre humain ) :

 » La race noire que j’appellerai toujours Sudéenne à cause de son origine équatoriale et par opposition à la race blanche que j’ai nommé Boréenne ; la race noire, dis je, existait dans toute la pompe de l’Etat social. Elle couvrait l’Afrique entière de nations puissantes émanées d’elle, possédait l’Arabie et avait poussé ses colonies sur toutes les côtes méridionales de l’Asie et très en avant dans l’intérieur des terres. Une infinité de monuments qui portent encore le caractère africain, existent encore de nos jours dans tous ces parages et attestent de la grandeur des peuples auxquels ils ont appartenu. Les énormes constructions de Mahabalipouram, les cavernes d’Ellora, les temples d’Isthakar, les remparts du Caucase, les pyramides de Memphis, les excavations de Thèbes et beaucoup d’autres ouvrages que l’imagination étonnée attribue à des Géants, prouvent la longue existence de la Race Sudéenne et les immenses progrès qu’elle avait fait dans les arts « .

Ainsi, comme le confirma l’égyptologue français Gaston Maspero ( 1846-1916 ) ( Cf. Histoire ancienne des peuples de l’Orient ; Gaston Maspero, éd. Hachette, 1917, p. 15. ) :

 » Au témoignage presque unanime des historiens anciens, ils ( les Egyptiens ) appartenaient à une race africaine, entendez nègre, qui d’abord établie en Ethiopie, sur le Nil moyen, serait descendue graduellement vers la mer en suivant le cours du fleuve… D’après la Bible, l’Egypte était peuplée par la descendance de Cham, ancêtres des Nègres « .

Qui connaît ses classiques, ne peut donc point collaborer naïvement à une entreprise de diabolisation de l’Afrique noire, comme le fit Montesquieu. Car Hérodote, le fameux « père de l’histoire » a été très clair. A propos des ressemblances physiologiques et culturelles ( circoncision, travail du
lin… )[page]

entre les Colchidiens vivant à l’ouest de la mer Caspienne ( sur les rives du Phase en Asie
Mineure ) et les Égyptiens anciens, il a personnellement noté ceci ( Cf. Hérodote, Livre II ) :

 » Il est bien évident, en effet, que les Colchidiens sont d’origine égyptienne (…) Je l’avais conjecturé moi-même, pour la raison d’abord qu’ils ont la peau noire et les cheveux crépus (…) d’autres peuples présentent les mêmes particularité « .

Que dire encore des civilisations africaines ? L’ethnologue allemand Léo Frobénius ( 1873-1938 ), qui a entrepris près d’une douzaine d’expéditions en Afrique noire entre 1904 et 1935, nous a légué son point de vue sur les pseudo-thèses des Lumières à partir des notes de voyage des Portugais qui furent les premiers à pénétrer à l’intérieur des terres :

 » Les révélations des navigateurs portugais du XVème au XVIIIème siècle fournissent la preuve certaine que l’Afrique nègre qui s’étendait au sud de la zone désertique du Sahara était encore en plein épanouissement, dans tout l’éclat de civilisations harmonieuses et bien formées. Cette floraison, les conquistadores européens l’anéantissaient à mesure qu’ils progressaient. Car le nouveau pays d’Amérique avait besoin d’esclaves et l’Afrique en offrait : des centaines, des milliers, de pleines cargaisons d’esclaves ! Cependant, la traite des Noirs ne fut jamais une affaire de tout repos ; elle exigeait sa justification ; aussi fit-on du Nègre un demi-animal, une marchandise. Et c’est ainsi que l’on inventa la notion du fétiche ( portugais : feticeiro ) comme symbole d’une religion africaine. Marque de fabrique européenne ! Quant à moi, je n’ai vu dans aucune partie de l’Afrique nègre les indigènes adorer des fétiches (…) L’idée du ‘ Nègre barbare ‘ est une invention européenne qui a, par contre coup, dominé l’Europe jusqu’au début de ce siècle « .

Ainsi, l’argumentation des Lumières reposait sur une simple appréciation des côtes atlantiques africaines où il n’existait nulle civilisation. Tous les grands royaumes ( Zimbabwe, Ghana, Mali… ) étaient à des milliers de kilomètres à l’intérieur des terres. A ce propos, le voyageur arabe, Léon l’Africain
( connu aussi sous le nom de Hassan Ibn Mohamed el Wazzan ez Zayatte ), nous a légué par exemple au 16ème siècle, une description précieuse des habitants du Dongola :

« Les habitants sont riches et civilisés, parce qu’ils font le commerce des étoffes, des armes et de diverses autres marchandises en Égypte ».

L’explorateur arabe Ibn Batouta qui visita lui le Soudan en 1352, fit une remarque intéressante sur l’intérêt des peuples africains pour la science : « Les habitants de Zâghah (…) ont une grande piété et beaucoup de zèle pour l’étude de la science »
( Cf. Voyages, G. Maspéro, éd. La découverte, 1982. )[page]

On peut encore lire sous sa plume ( Cf. Voyage au Soudan ; Ibn Batouta + Nation Nègre et Culture ; Cheikh Anta Diop, tome 2, éd. Présence Africaine ) :

« De ce que j’ai trouvé de bon dans la conduite des Noirs (…) Les actes d’injustices sont rares chez eux : de tous les peuples, c’est celui qui est le moins porté a en commettre et le Sultan ( roi nègre ), ne pardonne jamais a quiconque s’en rend coupable. De toute l’étendue du pays, il règne une sécurité parfaite : on peut y demeurer et voyager sans craindre le vol ou la rapine ».

Était-ce le cas en Europe à la même époque ?

NAIROBI, KENYA: Models show Maasai cultural attire created by the Kenyan Woodgrove College of Design, during the Kenyan fashion week show case in Nairobi 16 July 2004. (Photo credit should read SIMON MAINA/AFP/Getty Images)

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Conclusion :

Combattre le racisme comme le fait Montesquieu équivaut à moyen et long terme, à un coup d’épée dans l’eau. En fait, il faut combattre le mal à la racine, en annihilant tous les arguments biologiques, historiques, culturels, théologiques qui engendre la création de jugements esthétiques péjoratifs qui en finalité, nuisent à la liberté du peuple visé.

On constate alors que le débat d’idée des Lumières s’est borné à l’émission de jugements esthétiques, sans aucun fondement scientifique. Il s’agissait donc plus d’intuitions soumis à l’appât du gain que de science. Et la finalité de l’intuition était toujours la même : démontrer l’infériorité des Noirs pour faire accepter leur asservissement !

A propos de cette forme d’intuition, le professeur R. Otto nous apprend que ( Cf. R. Otto, L’élément non-relationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel. ) :

 » L’intuition est le sentiment considéré comme moyen de connaissance. La connaissance intuitive s’exprime en jugements esthétiques. Le jugement esthétique consiste à rattacher une donnée sensible à une réalité intelligible, en vertu d’un pouvoir qui ne relève ni de l’intelligence, ni de la volonté, mais du sentiment (…) Est esthétique, tout jugement qui n’est ni rationnel, ni moral et qui implique une activité du sentiment (…) Mais l’intuition sentimentale et le jugement esthétique seraient impossibles si au fond de la raison, ne se trouvait pas déjà, un obscur pressentiment des réalités supérieures « .

Et l’obscur pressentiment était que ce commerce allait vite être très rentable, d’où la capitulation de la raison humaniste. Et c’est cet engrenage qui fut le point de départ de la dépréciation/falsification de l’histoire africaine. Martin Bernal, professeur à l’université de Cornell aux USA, résume parfaitement pour nous la problématique en prenant l’exemple de l’égyptologie
( Cf. Black Athéna. Les racines afro-asiatiques de la civilisation classique ; Martin Bernal, éd. PUF, Tome 1, 1996. ) :

 » S’il était prouvé scientifiquement que les noirs étaient biologiquement incapables de civilisation, comment expliquer l’Egypte ancienne malencontreusement située sur le continent africain ? Il y avait deux ou plutôt trois solutions, la première consistait à nier que les Egyptiens fussent noirs. La deuxième à nier que les anciens Egyptiens aient donné naissance à une ‘ véritable civilisation ‘.
La troisième consistait à nier les deux. Deux sûretés valant mieux qu’une, c’est la dernière solution qu’ont préféré les historiens du XIXè et du XXè siècle « .[page]

Il est donc clair que la tactique anti-raciste de Schoelcher semble de loin la plus rationnelle. Celle-ci doit cependant être nuancée car ce dernier après avoir obtenu l’arrêt officiel du système esclavagiste en 1848, s’empressa de dédommager les… criminels ( les planteurs ) en oubliant les victimes ( les esclaves ).

Peut-on alors lui aussi, l’ériger sincèrement en modèle d’humanisme ? Est-il même sérieux de remettre en question l’obtention de réparations par les descendants des victimes, lorsque l’on sait que les descendants des bourreaux ont déjà eux, bénéficié du fruit de ce même dédommagement ?