De manière générale, les innovations technologiques ont eu une pénétration très limitée en Afrique profonde. L’univers mental est resté encore plus imperméable aux influences de l’extérieur.
Par exemple, l’islam, bien que présent en Afrique dès le 7e siècle, ne connaît un véritable essor qu’au 19e siècle avec les différentes guerres saintes ; certes, il avait réussi à s’infiltrer pacifiquement sur la bordure sahélienne et la côte de la mer Rouge mais coexistait généralement avec les religions du terroir.
Les avantages d’une telle situation pour la recherche, c’est la possibilité de comparaison directe entre l’Egypte ancienne et l’Afrique contemporaine, ce dans tous les domaines de la vie mais surtout, il faut le reconnaître, dans celui de la civilisation matérielle.
Ainsi dans de nombreux cas, on n’a même pas besoin de visiter un musée, encore moins de faire des fouilles archéologiques, pour retrouver tel ou tel instrument ou outil attesté dans l’art ou le mobilier funéraire de l’Egypte ancienne.
Cette réalité est généralement ignorée des égyptologues occidentaux, et ceux parmi eux qui en sont conscients n’ont aucun intérêt à l’exploiter vu les conséquences que cela pourrait avoir sur la pérennité de leurs thèses volontairement biaisées.
Si nous mettons ensemble tous les facteurs évoqués dans ce chapitre II, en les accompagnant de la fameuse méthodologie de Cheikh Anta Diop qui repose sur l’élimination systématique du hasard par la combinaison du « fait singulier » et du « faisceau de faits », nous parvenons à des conclusions scientifiquement crédibles.
Quelques exemples pris dans les éléments de la civilisation matérielle nous permettront de voir qu’anciens Egyptiens et Africains noirs, loin de s’être séparés au Sahara à l’aube de l’histoire, ont une parenté culturelle et biologique telle que seule une vie commune dans la vallée du Nil peut donner un tel résultat.
D – De l’objet à l’univers culturel.
Nous commencerons par le mr auquel nous avons déjà consacré une étude. Quand on observe cet outil et ses différentes variantes, on constate que les modèles égyptiens et africains sont les mêmes, jusque dans les moindres détails.[page]
( Muraille Du Benin ; 16.000 km de long ; ravagée par les Britanniques en 1897 )
Quand on examine de plus près certains modèles mandingues, on comprend comment a évolué l’instrument : en Egypte, il était encore entièrement en bois, alors que chez les Mandingues de Casamance, on voit s’ajouter à l’extrémité du tranchant un demi-cercle en fer dont l’objectif était de rendre l’outil plus performant.
Cependant les Mandingues ont conservé l’entrave qui relie les deux éléments de l’outil et qui devait raffermir sa solidité et celle-ci est en écorce de bambou dont la particularité est de durcir au contact de l’eau, exactement comme les cordes du modèle égyptien qui étaient faites de fibres végétales.
Ces deux éléments prouvent que l’outil était utilisé dans un environnement aquatique : les champs de blé et d’orge du Nil et des rizières de la Casamance.
C’est précisément cette entrave qui a donné son nom à l’outil : mr signifie en égyptien « attacher »,
« entraver ».
Ici c’est la technique de fabrication qui est évoquée à travers ce nom. Cette hypothèse qui aurait pu rester une simple conjectureest confirméepar le nom que les poularophones du fleuve Sénégal donnent au grand modèle du mr égyptien ( précisons qu’aussi bien en Egypte ancienne qu’en Afrique, l’instrument comporte des variantes dont la plus petite s’utilisait courbé et la plus grande debout ).[page]
Ce nom, toŋngu, signifie exactement « entrave » ( verbe conjugué à la deuxième personne du singulier de l’impératif ) et renvoie, comme en Egypte à la technique de fabrication de l’objet.
Ici nous pouvons entrer dans les détails : la branche idoine était immobilisée pendant des jours dans un jeu de piquets répartis de manière à donner à l’objet la forme voulue ; ensuite les deux éléments étaient à leur tour entravés à leur jonction avec du cuir brut appelé yoora ɓadoo dont la particularité est d’enserrer littéralement la tête de l’objet en séchant pour la rendre plus solide.
Précisons que ce cuir, mouillé, perd toute son efficacité. Il faut savoir que les champs de sorgho de nos poularophones ne sont travaillés qu’après leretrait total des eaux de la crue annuelle.
C’est dire que le travail ne se fait plus en milieu aquatique et que la nécessité d’une entravecompatibleavecles exigences de l’eau disparaît, ce qui explique l’usage du cuir brut.
Là également on voit comment l’outil commun évolue en tenant compte du milieu dans lequel il est utilisé. Ce n’est pas tout car si nous prenons maintenant le nom égyptien de l’objet, mr, d’autres possibilités de comparaison s’offrent à nous : une simple inversion des éléments du squelette consonantique de mr nous donne rem…
– ( avec l’ajout d’une voyelle ) en pulaar, terme qui signifie « cultiver avec une houe », « faire
l’agriculture ».
Dans le même ordre d’idées rmnyt, exploitation agricole évoque le pulaar remnata, « ce qui fait
cultiver » i. e. l’exploitation ou celui qui l’accorde.
Comme, le terme égyptien vient probablement de rmn, « demi-aroure », une unité de surface, nous pouvons également, en substituant la liquide l à sa semblable r, penser au pulaar leemn
– « arpentable » mais aussi leenan
– « arpenter au profit de ».
Ce dernier glissement nous mène directement chez les Wolof et les Seereer, voisins et parents des Haal-pulaar-en chez qui le maître de la terre porte le nom de Laman mais également chez les Mandingues qui désignent leur territoire lignager sous le vocable de lamini.
Si nous revenons au maître de terre, son privilège de gérer le patrimoine foncier lui vient généralement de son statut de premier occupant d’une nature sauvage et sans maître, jatti en wolof.
Ce terme nous ramène chez les Haal-pulaar-en qui lui donnent le sens de « propriété héréditaire, fief ». Mais l’Egypte également n’est pas loin car DAtt y signifie « terre », « propriété », « domaine », « Etat ».[page]
Avant d’aller plus loin, précisons que les termes wolof et pulaar lèvent le doute que les philologues et les épigraphistes occidentaux faisaient planer sur la lecture de.
Territoire agricole sillonné de canaux d’irrigation comme le pensait Gardiner ou symbolisation du champ d’Osiris, le premier agriculteur de l’Egypte d’après ce que suggère les parallèles dogon ?
Peu importe ; ce qui est intéressant ici, c’est cette parenté profonde qui repose sur l’occupation et la gestion de l’espace agricole.
Nous étions parti d’un simple instrument agricole et nous voilà dans le pouvoir terrien et la mythologie !
Si nous prenons l’habillement, nous pouvons aboutir aux mêmes parentés de grande profondeur. Commençons par les chaussures. Les chaussures égyptiennes à lanière arrière ( celle qui passe derrière le talon ) et que les égyptologues désignent improprement par sandales se comparent parfaitement, à tout point de vue, avec certains types de chaussures africaines. Malgré le débat qui a divisé les égyptologues sur l’origine du signe et de l’amulette ce sont les parallèles africains qui donnent aujourd’hui raison à ceux qui soutenaient qu’il s’agit « d’une boucle de sandale ».[page]
En effet cette lanière de cuir qui passe entre les deux premiers doigts du pied s’appelle kinhinol en pulaar ( terme qui vient de kine « narines » ) et bakhanu dàll, « la vie – littéralement le nez – de la chaussure, en wolof ) ».
Elle se retrouve également chez les Dogon qui l’utilisent exactement comme les anciens Egyptiens, c’est-à-dire comme une amulette vivifiante. En effet, il s’appelle « adinya kini » vie ( littéralement nez ) du monde [ et ] lorsqu’un membre de la famille est atteint d’une maladie grave et qu’une issue mortelle est envisagée, les vieillards de la parenté le tracent sur une surface de terre meuble…
Cette terre est placée ensuite sur la tête du malade… L’image de la création est ainsi reproduite pour tenter de recréer le malade et de le remettre dans la vie normale ». Il est clair que pour les Africains, les narines symbolisent la vie.
Voilà sans doute pourquoi la lanière de cuir qui, par son rôle même, assure la vie de la chaussure, a reçu un nom en relation avec les narines.
Si nous revenons chez les Egyptiens, les monuments nous montrent qu’ils avaient la même conception et le nom qu’ils avaient donné à la vie à travers un élément de chaussure se retrouve en pulaar à travers woŋki, « principe de vie, souffle vital ».
Là également, parti d’une lanière de cuir, nous voilà en plein dans le symbolisme de la vie et de la magie qui sert à la conserver.
Continuons par le pagne, Ange-Pierre Leca pense que la circoncision, en Egypte, n’était en réalité qu’un élément de l’initiation ; et dans sa description d’un relief datant de l’Ancien Empire, et qui concerne ce qui semble être une cérémonie d’initiation, il donne un détail important sur le pagne : « Un des occupants de la hutte cherche à s’en évader mais il est retenu de force par un autre individu, le seul à être vêtu d’un pagne ; les trois adolescents nus vont être initiés alors que celui qui porte le pagne l’a déjà été… Après la circoncision, l’enfant prenait le pagne et on lui rasait la « mèche de l’enfance », natte qui pendait de sa tempe droite ».
Tous ces faits se retrouvent chez les Haal-pulaar-en du Fuuta-Tooro : la hutte construite en dehors du village pour accueillir les circoncis à initier, mais surtout le pagne que prenait le jeune homme après sa guérison.
Et la terminologie et les pratiques confirment ici les faits égyptiens : haddaade signifie à la fois « subir la circoncision » et « porter le pagne ».
Evidemment après l’opération et l’initiation qui l’accompagnait, l’adolescent se débarrassait de ses touffes totémico-claniques et pouvait choisir librement ses tresses.[page]
Avec l’islamisation duhaade « porter le pantalon bouffant » ( hérité des Turcs ) mais également
« subir la circoncision » vient rejoindre, le premier terme qui est le plus ancien et le plus authentique, marquant ainsi l’évolution de la société poularophe du Fuuta.
Pour ce qui est des coiffures, les noms et les formes de celles de l’Egypte ancienne se retrouvent un peu partout en Afrique : le nemès ressemble beaucoup au bonnet traditionnel de l’homme mûr chez les Dogons ; la couronne blanche trouve sa jumelle en l’adè, coiffure royale des souverains de l’ancien Dahomey ; n’oublions pas la symbolique des couleurs avec le rouge et le blanc de l’Egypte qui se retrouvent également en Afrique.
Les bâtons égyptiens, des plus simples au plus symboliques, ne sont pas absents de l’Afrique : le w3s par exemple a entièrement gardé chez les Peuls d’aujourd’hui la totalité de ses caractéristiques, forme, fonctions pratiques et symboliques.
Nous terminerons par les appuis-tête. Ici la similitude totale entre les formes égyptiennes et africaines devient finalement un détail insignifiant face à la profondeur des pratiques et croyances attachées à l’objet.
Ainsi on apprend à travers la préférence de cet outil à l’oreiller mou que les anciens Egyptiens se tressaient les cheveux et les traitaient avec du beurre comme les Africains de nos jours qui, il est vrai, ont actuellement l’avantage de pouvoir disposer de produits industriels plus commodes.
De même, il se confirme que les rôles que l’appui-tête jouait dans la garde du dormeur et dans l’élévation et la résurrection du défunt ont été entièrement conservés par les Africains modernes.
Ce caractère systématique des similitudes, leur importance et leur profondeur ne peuvent absolument pas être le fruit d’une cohabitation, à l’aube de l’histoire, dans le vaste Sahara. Une telle parenté n’a pu prendre naissance que dans la vallée du Nil et se développer et s’affiner durant de longs siècles.
Cette conclusion que certains hésitent encore à accepter est, le plus logiquement du monde, celle que confirment les traditions africaines en même temps d’ailleurs que l’africanité et la négritude des anciens Egyptiens.
III – Les traditions Africaines confirment la thèse nilotique et la négritude de des egyptiens.
Dans la conclusion de notre chapitre I, nous avons vu que dans l’état actuel du débat, il restait en fait deux questions à résoudre : celle du berceau de l’unité culturelle égypto-africaine et celle de la négritude des anciens Egyptiens. Cheikh Anta Diop, tenant de la thèse nilotique et de celle de la négritude des anciens Egyptiens n’a pas trouvé grâce auprès de ses adversaires occidentaux qui lui ont intenté toutes sortes de procès d’intention.[page]
Comme il est difficile d’accuser les traditions africaines de « complot » contre les égyptologues occidentaux, leur point de vue sur ces deux questions devrait être accepté par toute personne objective.
Nous nous contenterons des traditions wolofs, peules et soninkés dont chacune apporte un éclairage particulier sur les deux sujets qui nous préoccupent.
Commençons par les traditions wolofs. Un auteur du nom de Yoro Dyâo a laissé à la postérité des travaux d’une extrême importance.
Ses « Cahiers » publiés grâce à l’obligeance de R. Rousseau et son fameux article inséré dans Chroniques du Foûta sénégalais dont il constitue le chapitre VI, abordaient la question des relations entre l’Egypte ancienne et les populations de la Sénégambie.
L’article à lui seul règle de manière définitive la question de savoir où a eu lieu la séparation entre Sénégambiens et anciens Egyptiens :
en effet, il s’intitule « Les six migrations venant de l’Egypte auxquelles la Sénégambie doit son peuplement ». En d’autres termes, les Sénégambiens viennent d’Egypte ( et non du Sahara comme le soutiennent certains spécialistes ) et l’ont fait à travers pas moins de six migrations.
Cela règle en même temps que la question du berceau, celles des migrations que certains ( qui ignorent les travaux de Yoro Dyâo ) jugent hypothétiques.[page]
Il est important de noter ici que Yoro Dyâo précise bien que le point de vue qu’il défend sur l’origine des Sénégambiens n’est pas le sien propre « vu que l’opinion générale en toute la Sénégambie est que notre contrée doit son peuplement à des migrations de l’Egypte, desquelles descendent toutes ses populations ».
Le Waalo-waalo, ami et serviteur des Français, ne se contente pas d’affirmer l’origine égyptienne des Sénégambiens, il l’explique et l’accompagne de détails dont l’exploitation permet de contrôler la véracité de ce qu’il avance : c’est le cas quand il aborde la similitude entre la religion égyptienne et celle des Seereer qui serait « une sorte d’idolâtrie particulière dans laquelle de sensibles traces de l’ancienne mythologie égyptienne se fait [sic] remarquer ».
C’est aussi le cas quand il explique par les « vexations », « exigences » et autres « corvées
incessantes » les raisons qui ont poussé les populations à partir.
Les noms des pharaons impliqués ainsi que les incidents de parcours de certaines migrations entrent dans la même catégorie. Sur la question raciale Yoro Dyâo apporte des éléments très importants.
En effet il signale la présence de Blancs ; c’est notamment le cas pour la quatrième migration :
« Cette migration, causée comme les précédentes par les exigences du Farang d’Egypte, fut plus petite que les précédentes.
Elle se composait de Blancs formant deux groupes de races différentes mais étroitement d’accord dans toutes les questions d’intérêt commun. Tourmis était un homme d’une beauté de formes remarquable ; il appartenait au groupe le plus nombreux, qui se composait de Peuls… »
En fait de Blancs, on découvre qu’il s’agit en réalité de Peuls et de Mandingues dont la carnation est généralement plus claire que celle des Wolof et autres Seereer, eux aussi venus d’Egypte.
Avec la précision de Yoro Dyâo que c’était la migration la plus petite, on constate que les « Blancs » étaient minoritaires.
En fait on tient ici la preuve de ce que Cheikh Anta Diop appelle le métissage en éventail de l’Egypte qui, toujours selon lui, aurait donné naissance au phénotype peul à partir de la XVIIIe dynastie.
Continuons avec les Peuls. Plusieurs éléments de leurs traditions confirment leur origine nilotique : Les vaches peules sont censées provenir d’un fleuve que tout identifie au Nil : Nilli et Miliya seraient des noms du Nil d’après les traditionnistes.
Mais dans cette rubrique, c’est surtout le nom Ilo ( dont le sens est « la crue » ou « l’homme de la
crue » ) qui apporte un éclairage décisif : on sait que irw a3, l’un des noms du Nil qui se rapporte à l’importance de ses eaux devient ilos en grec ;[page]
or les Peuls affirment deux choses qui seraient contradictoires si elles ne renvoyaient à une seule et même réalité : le rôle d’Ilo dans l’origine des vaches et la provenance aquatique de celles-ci ; et nous avons déjà vu supra que d’autres traditions identifient clairement le Nil comme ce fleuve d’où sont sorties les vaches.
Dans ces conditions la seule conclusion raisonnable est que Ilo et le Nil sont une seule et même réalité ; ce que la forme grecque permettait déjà d’affirmer.
Mais les Peuls ont été encore plus précis sur leur origine égyptienne en affirmant que les semences des fleurs de nénuphar dont leurs femmes aiment s’orner les cheveux ont été apportées d’Egypte par des diasporas très ancienne ».
Cela n’est évidemment possible que si les Peuls ont émigré d’Egypte.
C’est en fait ce qu’ils laissent entendre à travers la description de leur pays mythique d’avant leur dispersion à travers le continent africain.
Cette description dont on retrouve tous les détails au début du conte initiatique Njeddo Dewal, désigne clairement la vallée du Nil ; et comme pour couper court à toute identification hasardeuse, leurs initiés les plus précis affirment que Heli e- Yooyo, le pays originel des Peuls, s’étendait « des terres de Habasi à celles de Misra ».
Voilà qui est clair. Dans de l’origine égyptienne des Peuls on trouvera tous les faits qui montrent que les traditions peules sont parfaitement conformes à la vérité historique. Voilà qui donne raison, encore une fois, à Cheikh Anta Diop en ce qui concerne l’explication intelligible du phénotype peul.
Comme pour la Sénégambie, les traditions maliennes situent l’origine des populations du pays en Egypte.
Voici les propos prêtés à Youssouf Tata Cissé, un grand traditionniste malien, à l’occasion du colloque de la SCOA tenu à Bamako en 1975 :
« A propos de l’origine de la plupart des clans de ce pays
( Mali ), de leurs migrations du pays qu’on appelle Korotoumou ba, le fleuve de Korotoumou qui serait le Nil ou la Mer Rouge, nous disposons de toute une série de traditions déjà enregistrées.
Par ailleurs, les mythes relatifs à certains animaux du panthéon malien actuel tels que le vautour, le serpent, le scarabée, l’aigle, etc. rappellent étrangement l’histoire des animaux sacrés de l’Egypte des Pharaons.
Il y a là une idée à creuser ».[page]
( Youssouf Tata Cissé )
Quant à Wa Kamissoko, un autre traditionniste de renom malheureusement décédé depuis, il tenait, à l’occasion du même colloque, les propos que voici :
« Selon la tradition, l’institution de la justice et de l’application des peines remontent au règne des pharaons… » et de préciser que le pharaon avait une balance qui lui permettait de peser les actions de ses sujets, qu’il avait « pour allié, Dougadafolo, l’ancêtre des vautours qui l’accompagnait partout et qui gardait la balance de la justice ».
Nous avons déjà expliqué dans Les chemins du Nil que Korotoumou pouvait bien correspondre à l’égyptien qrty mw ; se reporter donc à ce travail pour les détails ; quant aux autres faits avancés par les deux traditionnistes, ils n’ont pas besoin d’être commentés du fait même de leur évidence.
Terminons par les Soninkés qui vont ainsi compléter un tableau déjà fort expressif. L’une de leurs traditions commence par ces termes : « Une fois sortis d’Egypte, les Sarakollé ( Soninkés ) habitaient Sawkin dont le fondateur s’appelle Yugu Dungussé… ».
Ici l’origine égyptienne des Soninkés ne fait aucun doute.[page]
( Les murs de Sikasso ; 6 mètres d’épaisseur à la base et 6 mètres de hauteur )
Cependant, ce sont les traditions dites de Yéréré qui nous apportent le plus d’éléments sur l’origine égyptienne des Soninkés, notamment celle de leur ancêtre Diŋaa. Faisant la synthèse de ces traditions, Germaine Dieterlen et Diarra Sylla nous décrivent Diŋaa en ces termes : « Dinga dit kare
( traduit par « l’ancien, le patriarche » ) est né en Egypte à Sonna, nom que les Soninké donnent à Assouan, et était d’une famille originaire d’une région nommée Hindi ou Findi ( traduit par Inde ).
Dinga était un noir, chasseur et guerrier. Il épousa dans la région de Sonna une femme à peau claire nommée Fatou Ganessi. Mais cette union, considérée comme un métissage, ne pouvait permettre à ses enfants d’accéder à la chefferie.[page]
( Epée Mandingue )
Ainsi Dinga, actif et curieux, mais insatisfait de son statut social dans sa région d’origine, ayant donné naissance à des métis qui ne pouvaient exercer le pouvoir en ces lieux, se lança-t-il dans des aventures guerrières…
Dinga n’était pas un wage, terme qui désigne les « nobles », soit les descendants de ses fils qui ont créé l’empire du Wagadou. Mais c’était un « guerrier intrépide », un « chef
courageux ».
Sa chefferie originelle à Sonna ( Assouan ) était importante, mais non comparable à celle qu’instaurera Diabé sur Wagadou en devant Kaya Maga ».
Ce long passage nous donne deux informations capitales sur l’Egypte au temps de Diŋaa :
1. – Les Noirs pouvaient exercer une chefferie mais leurs enfants métis étaient exclus du pouvoir ;
2. – Diŋaa étant bel et bien un égyptien d’Assouan. Là également, l’origine égyptienne des Soninkés est bien établie par la tradition.[page]
( Temple de Denderah )
Diŋaa, après avoir fait des conquêtes et épousé trois femmes issues de ce qui allait devenir le Wagadu, retourne chez lui, à Sonna, et ce sont les enfants, nés de ses trois épouses, qui émigrèrent d’Egypte, après sa mort, pour aller occuper le pays qu’il avait conquis pour eux.[page]
Les détails de cette migration méritent un détour :
« Diabé suivit une route parallèle à celle qu’avait empruntée Dinga et aborda le Sahel en passant par le nord de l’Afrique.
Mais à l’encontre de Dinga qui avait guerroyé partout, le déplacement de Diabé fut relativement pacifique. Cependant, les émigrants que conduisait Diabé étaient armés en guerre.
Certains, comme lui, étaient à cheval, d’autres montés sur des chars légers dit kinade, tirés par un cheval ; tous étaient munis de lances, ou d’arcs et de flèches.
Les esclaves suivaient à pied ou montés sur des ânes chargés d’armes et du matériel nécessaire.
La tradition mentionne que les conquérants partirent avec plus de mille chars ayant à leur tête un chef nommé Pindjé, et qu’ils atteignirent les lieux où sera édifiée la capitale trois mois après leur départ ».[page]
Relevons tout d’abord la précision avec laquelle la tradition décrit la migration des Soninkés sous la direction du futur fondateur du Wagadu/Ghana, Jaabe Siisee. Ensuite insistons sur le fait que ce sont des éléments, internes au récit lui-même, qui assurent sa crédibilité car, ce que nous savons de la civilisation égyptienne, entre parfaitement en adéquation avec eux.
( village Soninke )
En conclusion, si Diŋaa était noir et chef en Egypte, si les métis ne pouvaient pas prétendre à la chefferie, il y a fort à parier que les Egyptiens de l’époque de Diŋaa devaient être majoritairement des Noirs malgré des indices de métissage qui apparaissent également, comme on l’a déjà vu, chez Yoro Dyâo.
Conclusion :
On le voit, la civilisation matérielle et les traditions orales africaines ne laissent plus planer aucun doute sur le fait que le berceau principal de l’élaboration de l’unité culturelle égypto-africaine est bien la vallée du Nil.
Elles établissent également de manière très claire que les anciens Egyptiens ne pouvaient être que des Noirs car les traditions n’évoquent à aucun moment une différence quelconque entre les populations africaines concernées et les anciens Egyptiens.[page]
De la même manière, il ne doit plus subsister un doute sur la réalité des migrations qui ont quitté l’Egypte ancienne pour les différentes parties du continent. Il est donc impérieux que dans le combat qui est le nôtre, nos efforts portent sur ces deux directions.
C’est ainsi seulement que nous parviendrons à réhabiliter l’Afrique en utilisant ces armes si merveilleuses d’efficacité qu’elle a elle-même fabriquées pour nous.