Les relations entre l’Egypte ancienne et le reste de l’Afrique.

( Aboubacry Moussa Lam )

Les relations entre l’Egypte ancienne et le reste de l’Afrique à la lumière des données de la civilisation matérielle et traditions orales…

Introduction…

Les relations entre l’Egypte ancienne et le reste de l’Afrique constituent un thème quasi incontournable pour tout égyptologue qui s’intéresse à l’origine et à l’appartenance culturelle de la civilisation pharaonique.

[page]

Voilà pourquoi ces deux questions ont fait l’objet d’une attention particulière des spécialistes occidentaux et négro-africains. Inutile de préciser que ces deux camps sont loin d’être d’accord sur la provenance géographique et l’appartenance culturelle des anciens Egyptiens.

Pour les premiers, les Egyptiens ont d’abord été considérés comme des envahisseurs blancs venus d’Europe ou d’Asie et, ensuite, comme des gens constituant une race « égyptienne » dont les éléments sont venus de divers horizons. Pour les seconds, les anciens Egyptiens appartiennent à la race noire et viennent d’Afrique, essentiellement du sud et le métissage égyptien ne devient significatif qu’à partir du Nouvel Empire ( 1580-1085 ).

Toujours pour eux la civilisation égyptienne se rattache, culturellement parlant, au monde négro-africain.

Le colloque du Caire de 1974 qui, pour la première fois, a mis face à face les deux camps n’a pas réussi à mettre définitivement tout le monde d’accord. Si des concessions ont été acceptées par les Occidentaux et leurs alliés sur la question culturelle, sur le plan de l’appartenance raciale la thèse d’une race « égyptienne » n’a pas bougé d’un iota.

Depuis le colloque du Caire, les travaux d’égyptologie ont beaucoup progressé en Afrique, notamment dans le domaine du comparatisme égypto-africain. Ainsi la civilisation matérielle et les traditions orales ont été utilisées de manière plus significative comme sources par les spécialistes africains.[page]

A la lumière de leur éclairage il apparaît que, culturellement et racialement, l’Egypte ancienne ne saurait être séparée du reste de l’Afrique noire. L’intérêt de la chose ne réside pas dans la nouveauté de la découverte mais dans le fait que les deux sources relèvent, l’une du concret, et l’autre, de la mémoire collective des Africains.

Autrement dit, elles ne peuvent donner aucune prise à la critique facile et aux procès d’intention qu’on a si souvent faits aux pionniers de l’égyptologie négro-africaine. Voilà pourquoi elles méritent une attention toute particulière dans les recherches que nous menons actuellement pour le triomphe de la vérité historique en Afrique.

I – Le debat sur l’origine et l’appartenance raciale des anciens egyptiens :

( Jean-François Champollion dit ‘ Champollion le Jeune ‘ )

Le débat sur l’origine géographique et l’appartenance raciale des anciens Egyptiens est aussi vieux que l’égyptologie. Déjà dans sa fameuse « Lettre à M. Dacier » le père de l’égyptologie faisait de l’Egypte la tutrice des nations asiatiques et européennes voisines en matière d’écriture…
[ Voir J.-F. Champollion, Lettre à M. Dacier, Secrétaire Perpétuel de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles lettres, relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques employés par les Egyptiens pour inscrire sur leurs monuments les titres, les noms et les surnoms des souverains grecs et romains, Paris, A. Fonfroide, 1989, surtout, p. 42-43 ; Grammaire égyptienne. Paris, Solin, 1997, p.VI. ][page]

c’est dire qu’il était loin de penser à la thèse selon laquelle une prétendue race dynastique [ D. E. Jerry « The Dynastic Race in Egypt, JEA, 62, 1956, p. 80-85. ] avait apporté en Egypte l’Etat et l’écriture.

Mais en réalité D. E. Derry ne faisait que suivre les traces de Gaston Maspero ( 1846-1916 ) qui affirmait avec aplomb à la page 17 de son fameux ouvrage, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, édition de 1912, que le peuple égyptien, « loin d’offrir les particularités ou l’aspect général du nègre, avait la plus belle analogie avec les belles races blanches de l’Europe et de l’Asie occidentale » !

( Gaston Maspero )

Remarquons au passage le forcing géographique qui classe l’Egypte parmi les pays de l’Orient.

Une telle attitude de Maspero ne doit guère surprendre de la part de celui qui s’est donné tant de peine pour nier la négritude pourtant si manifeste de la grande Ahmès Néfertari…
[ Ahmès Néfertari était, avec son mari Ahmosis, l’une des grandes figures de la XVIIIe dynastie qu’ils inaugurèrent ; pour les tripatouillages de Maspero, voir Maspero G., Brugsch M. E., La trouvaille de Deir-el-Bahari, Le Caire, 1881. Maspero G., Les momies royales de Deir el-Baharî, Mémoires de la Mission Archéologique Française ( MMAF ), I, fascicule 4, Paris, Ernest Leroux, éditeur, 1889 ; mais aussi A. M. Lam, L’affaire des momies royales, Paris, Présence Africaine, 2000. ].[page]

( Ahmès Néfertari )

Enfonçant le clou, Hermann Junker soutient en 1921 que les premiers contacts entre les Egyptiens et les vrais Nègres n’eurent lieu qu’avec les conquêtes du Nouvel Empire ( à partir de 1500 avant J.-C. ) qui permirent aux premiers, d’atteindre l’habitat des seconds situé, d’après l’auteur, au sud de la quatrième cataracte…
[ H. Junker, “ The first appearance of the Negroes in History ”, J.E.A., 7, 1921, p. 121-132 et particulièrement, p. 132. ].[page]

( Hermann Junker )

Junker n’avait certainement pas vu la difficulté que constituait la conclusion de Flinders Petrie sur les causes de la parenté culturelle qu’il avait constatée entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire contemporaine.

( Flinders Petrie )[page]

En effet, il concluait dans son article Egypt in Africa, publié en 1914, que la raison la plus crédible d’une telle parenté ne pouvait être qu’une source commune et que “ such common source being in nearly all cases a primitive stock of population ” rassemblant Egyptiens et Africains…
[ F. Petrie, « Egypt in Africa », Ancient Egypt, I, 1914, p. 116. ].

Et comme Petrie situe l’émergence de la plupart des traits culturels en question avant le Moyen Empire et peut-être même avant l’Ancien Empire, la thèse de Junker devient vraiment plus que problématique.

La reconnaissance de la parenté culturelle entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire, qui s’affirme indéniablement avec le texte de F. Petrie, est vigoureusement rappelée par Jean Leclant dans son article de synthèse du Lexikon der Ägyptologie. En effet, il n’hésite pas a énumérer une longue liste de traits communs qu’il est difficile d’ignorer ; et c’est le plus naturellement du monde qu’il reconnaît dans un autre article publié dans la revue Archéo-Nil que : « on a désormais de beaucoup dépassé les soixante et un exemples de rapprochements entre des objets ou des coutumes d’Egypte, d’une part, d’Afrique, d’autre part, groupés en 1914 par Flinders Petrie dans son article de base d’Ancient Egypt ».

( Lexikon der Ägyptologie )

Cependant force est de reconnaître que sur le plan racial J. Leclant est proche de Junker car, d’après lui, « il y a enfin une évidence première : les Egyptiens ne se sont jamais considérés eux-mêmes comme des Noirs ».[page]

Qu’étaient donc les anciens Egyptiens ? Serait-on tenté de se demander. C’est Claire Lalouette et Maurizio Damiano-Appia qui éclairent notre lanterne sur la nouvelle position des égyptologues occidentaux actuels.

Pour Claire Lalouette, la « race égyptienne » est constituée de deux composantes, une composante chamitique autochtone et déjà en place dès le paléolithique et une composante sémitique dominante, venue d’Asie au IVe millénaire alors que la civilisation égyptienne avait déjà pris son envol. Pour Lalouette, l’Egypte fut un pays de métissage culturel et biologique mais avec une ascendance sémitique marquée.

( Claire Lalouette )

La thèse de Maurizio Damiano-Appia, qui a l’avantage d’être l’une des plus récentes, mérite une attention particulière du fait des enseignements qu’elle permet de tirer sur cette épineuse question.

Pour ne rien tronquer des idées de l’auteur, nous préférons le citer textuellement : « Selon d’anciens spécialistes, les Egyptiens étaient blancs et afin de refuser à un peuple africain la paternité d’une civilisation qui jeta les bases de notre culture, on avança l’hypothèse de l’existence d’une « race dynastique » blanche ( mésopotamienne ).

Aujourd’hui nous savons que cette race n’a jamais existé et que les Egyptiens étaient un peuple autochtone qui engendra sa propre civilisation tout en restant perméable ( dans une moindre mesure ) aux influences culturelles exercées par les peuples limitrophes.
Les réactions aux vues racistes de l’Occident ont eu, également des conséquences catastrophiques sur la réalité historique. Certaines thèses visaient en effet à démontrer que les Egyptiens étaient des Noirs.[page]

En fait, les documents égyptiens font état d’une société multiraciale, ce qui est absolument logique, si l’on pense que le Sahara était un véritable creuset de cultures et de peuples issus – depuis le paléolithique – du croisement de différentes races.

Au fil des siècles différents groupes ont rejoint le Nil et se sont ultérieurement mélangés.
S’ajoutèrent, ensuite, les apports ethniques de la Nubie et de l’Orient voisin, sur lesquels s’ouvrent respectivement la Vallée du Nil et le Delta ».
A l’analyse, le passage de Maurizio Damiano-Appia peut se résumer ainsi :

1) – L’Egyptien blanc issu d’une « race dynastique » n’était qu’une escroquerie intellectuelle destinée à priver les Africains du bénéfice moral de la création de la civilisation égyptienne.

C’est là, il faut le souligner, un aveu de taille très gênant pour la mémoire des D. E. Derry et autres Maspero, dont on a examiné supra les thèses.

2) – Les Egyptiens n’étaient pas non plus des Noirs car ils étaient le fruit des multiples brassages entre Blancs et Noirs intervenus au Sahara d’abord et dans la vallée du Nil ensuite.

Autrement dit, l’auteur défend, comme Lalouette et bien d’autres, la thèse du métissage culturel et biologique.
Nicolas Grimal, qui occupe de nos jours la chaire d’égyptologie du Collège de France, est également convaincu que c’est à partir d’un complexe préhistorique présaharien que se sont individualisées les civilisations égyptiennes et africaines liées par des similitudes indéniables .

( Nicolas Grimal )[page]

Reconnaissons, pour faire justice à Jean Leclant, qu’il ne fait que reprendre une idée chère à celui-ci et qu’il a eu l’occasion de développer dans plusieurs travaux.

Joseph Ki-Zerbo est également un fervent défenseur de la parenté culturelle égypto-africaine dont il situe, lui aussi, le berceau au Sahara, peu convaincu qu’il est de l’origine égyptienne des Africains qui ne serait à ses yeux qu’une simple hypothèse.

( Joseph Ki-Zerbo )

Quant à Cheikh Anta Diop, tous ses travaux connus ont, d’une manière ou d’une autre, touché à la problématique des relations entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire.[page]

( Cheikh Anta Diop )

De Nations nègres et culture ( 1954 ) à Nouvelles Recherches sur l’égyptien ancien et les langues négro-africaines modernes ( 1988 ), il n’a pas varié sur ses thèses fondamentales.

– l’Egypte ancienne est restée négro-africaine malgré un métissage en éventail qui se développe surtout à partir du Nouvel Empire ;

– Il existe une unité culturelle égypto-africaine forgée essentiellement dans la vallée du Nil même ;

– C’est avec l’affaiblissement et la chute de l’Egypte pharaonique que les Noirs ont commencé à quitter la vallée du Nil où ils s’étaient repliés avec la désertification du Sahara ; et cela se fit à travers des vagues migratoires successives qui se sont dirigées à l’ouest et au sud du continent.

Voilà, succinctement résumé, le débat qui a opposé les égyptologues et les historiens qui se sont penchés sur les relations entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire. Nous ne reviendrons pas sur la question de la « Race Dynastique » et sur le caractère leucoderme des Egyptiens :
les positions généralement défendues aujourd’hui par les égyptologues occidentaux montrent assez que ce débat est dépassé.

Nous ne reviendrons pas non plus sur la problématique de la parenté culturelle que tout le monde semble accepter.[page]

En revanche, les questions du berceau d’élaboration de la parenté culturelle égypto-africaine et celle de la négritude des anciens Egyptiens feront l’objet de notre attention dans les deux chapitres qui vont suivre et qui portent respectivement sur la civilisation matérielle et sur les traditions orales.

II – Ce qu’apporte la civilisation matérielle dans le débat…

Par civilisation matérielle nous entendons tous les aspects de la civilisation qui se manifestent à travers une artificialisation volontaire de la matière.

Si les civilisations ou les cultures sont différentes, c’est en partie à cause de la spécificité avec laquelle elles ont chacune agi sur la matière.

De la même manière on peut affirmer que si elles sont semblables, c’est en partie parce qu’elles ont agi de la même manière sur la matière. Dès lors on peut s’interroger sur les conditions d’élaboration d’une civilisation et voir si toutes étaient remplies au moment où les populations africaines vivaient dans le Sahara.

A – Comment naît une civilisation ?

Des traits culturels peuvent naître du seul fait de ce que nous appelons, faute de mieux, le déterminisme géographique : parce qu’on vit dans un même espace ayant les mêmes caractéristiques, la même faune et la même flore, on développe nécessairement des traits communs du fait précisément de cette situation.

Jean Leclant et Paul Huard ont montré dans leur magistral ouvrage consacré aux chasseurs du Nil et du Sahara « la similitude d’un ensemble de traits culturels depuis la mer Rouge jusqu’à l’Atlantique : même accoutrement des chasseurs, armes similaires, procédés de chasse comparables ; le détail de tels pièges à tension, sur une gravure de Dao-Timni aux confins nigéro-tchadiens ou par une figuration des Chasseurs-Pasteurs tardifs du Draa dans le Sud-marocain ».
Mais la géographie à elle seule ne suffit pas pour l’émergence d’une unité culturelle. Celle-ci résulte d’un concours de circonstances dont les principales sont :

– un espace géographique à la dimension de l’homme ;

– un développement technique suffisant ;
– un pouvoir centralisé ;
– un temps suffisamment long ;
– une volonté de vie commune.[page]

Point n’est besoin d’insister lourdement sur les raisons qui motivent le choix de ces différents points : elles relèvent du simple bon sens qui lui-même résulte de l’analyse sur le long terme du mode de fonctionnement des sociétés humaines.
On le voit, le Sahara préhistorique était loin de réunir les conditions idéales pour l’émergence de l’unité culturelle égypto-africaine. Donc à notre avis, cette unité – que personne ne conteste encore une fois – ne peut absolument pas naître au Sahara exception faite de quelques traits renvoyant essentiellement à l’univers de la chasse/pêche, à l’élevage.
Les tenants de la thèse saharienne n’ont pas suffisamment prêté attention aux difficultés que nous soulevons ici et ce sont eux-mêmes qui nous fournissent les éléments de notre argumentation.

Quand on parcourt la liste des similitudes dressée par Jean Leclant « cosmogonie, thériomorphisme des divinités, culte du bélier d’eau, royauté divine ( souverain garant de l’abondance et de la victoire ) régalia, inceste royal, matriarcat, ka et ba, rites d’inhumation, momification, circoncision, tirer des quatre flèches, jeux et gestes, divination (…) parallèles ergologiques dans les techniques les plus diverses :
appuie-tête, corbeilles, instruments de musique, outillage agricole, armes, outils ( forêts, rasoirs ) métallurgie, fonte à la cire perdue, motifs de décoration, dans les vêtements et les parures : étui phallique, coiffure, peignes », il apparaît nettement que la plupart des traits en question ne peuvent absolument pas renvoyer au Sahara préhistorique : ils s’enracinent profondément dans la vallée du Nil et appartiennent indubitablement à des sociétés plus avancées que celles qui ont hanté les grands espaces du Sahara.

Il est vrai que Leclant envisage des contacts tardifs et indirects entre l’Egypte et l’Afrique ( voir supra ) mais cette explication est trop courte à notre avis pour expliquer de manière crédible le caractère massif et la finesse extrême des similitudes en cause vu les énormes distances qui séparent la vallée du Nil de certaines régions du continent.

( Jean Leclant )[page]

Le passage de Joseph Ki-Zerbo qui va suivre est particulièrement éclairant à ce sujet :

« Le Mogho-Naba, roi des Mossi, après son élection et au lever du soleil, fait le tour de la case où il a été élu, exactement comme le pharaon élu fait le tour du « mur blanc » ( son palais ) symbolisant ainsi la prise de possession du royaume. Le Mogho-Naba, comme le pharaon, est assimilé au soleil.

Sa mort signifie aussi le renversement de l’ordre cosmique et ses sujets comme en Egypte se prosternent devant lui en « flairant le sol ».

Enfin, de même qu’au bout de trente ans de règne, le pharaon célébrait la fête du jubilé ( heb sed ) pour rajeunir ses forces, rappelant ainsi sans doute la mise à mort rituelle du chef, pratiquée d’après Strabon à Méroé, de même au bout trente ans de règne, le Mogho-Naba accomplissait les rites régénérateurs du bik togho où d’après la tradition un substitut de l’Empereur était sacrifié. Y a-t-il là simples
coïncidences ?[page]

( Méroé )

Il semble que non, car il s’agit d’un phénomène global partout où la société africaine a atteint le stade de la grande chefferie et de la royauté ».

Certes l’historien burkinabé pense que ces similitudes n’ont pas eu forcément pour berceau l’Egypte ancienne mais s’il connaissait le processus qui a donné naissance à celle-ci, il n’aurait eu aucun doute à ce sujet et nous verrons infra que les traditions orales africaines règlent aujourd’hui ce problème de manière définitive, aidées en cela par certaines particularités de la civilisation égyptienne.

Est également significative cette autre similitude entre Pharaon et le Mani-Kongo et portant cette fois-ci sur les enseignes de guerre.

B – Quelques particularités de l’Egypte…

Certaines particularités de la civilisation égyptienne, bien exploitées, permettent au chercheur qui s’intéresse à l’unité culturelle égypto-africaine de mieux assurer son argumentation et d’apporter des clarifications décisives.

Nous commencerons par l’importance que les anciens Egyptiens accordaient à la vie post-mortem.[page]

Croyant à une autre vie dans l’au-delà, Pharaon et ses sujets se construisaient des tombes remplies d’offrandes et de scènes magico-religieuses censées assurer leur éternité. C’est essentiellement grâce au mobilier funéraire que des objets dont certains remontent à la période prédynastique nous sont parvenus.

Pour comprendre l’importance de ce trait culturel égyptien, il faut le comparer avec les pratiques funéraires islamiques :
le mort est généralement enterré dans une simple fosse, dépouillé de ces bijoux, sans mobilier
funéraire ; c’est dire qu’au bout de quelques années, il ne reste du défunt et de son passage sur terre que quelques os ; tout le contraire des anciens Egyptiens dont les corps momifiés, placés dans de solides sarcophages et parés de leurs plus beaux bijoux, ont pu donc traverser non pas des siècles mais des millénaires, offrant ainsi d’immense possibilités d’investigation aux chercheurs.
Entre autres exemples, nous pourrions citer Ramsès II, Toutankhamon, dont le mobilier funéraire fait aujourd’hui la fierté du musée du Caire. L’étude des monuments funéraires et religieux ( qui constitue l’autre grande source des égyptologues pour la connaissance de la civilisation égyptienne ) est facilitée par un autre trait de génie des anciens Egyptiens : c’est la combinaison art/écriture.

( Toutankhamon )

Les riverains du Nil ne se contentaient pas de dessiner des scènes sur les parois de leurs tombeaux et de leurs temples, ils les accompagnaient de textes explicatifs qui nous permettent aujourd’hui de saisir, souvent avec certitude, le sens de telle scène ou de telle action. Voilà pourquoi le tableau des races de la tombe de Ramsès III, constitue un document extrêmement gênant pour tous ceux qui affirment que les anciens Egyptiens ne se percevaient pas comme des Noirs.[page]

En effet n’eussent été les légendes qui accompagnent les personnages, certains auraient juré, la main sur le cœur, que l’Egyptien était un vulgaire esclave noir entré par effraction dans une composition où il n’avait rien à faire !

Précisons avant de continuer que c’est pour avoir très bien compris la pertinence d’un tel fait que Cheikh Anta Diop a choisi d’illustrer la couverture de certains de ses livres avec le fameux tableau des races. Mille fois merci aux artistes et scribes égyptiens qui nous permettent aujourd’hui de confondre tous les pêcheurs en eau trouble.

Cette étude est également facilitée par le caractère pictographique des hiéroglyphes dont les signes représentent des éléments tirés de l’environnement, proche ou lointain, de l’Egyptien de la période pharaonique. Inutile d’insister sur les possibilités d’identification d’objets, d’animaux, de végétaux etc… qu’offre une telle écriture.

Ces possibilités s’accroissent encore avec l’usage du déterminatif dans les règles graphiques de l’écriture égyptienne. En effet, l’hésitation dans la traduction d’un terme inconnu peut souvent se dissiper grâce au déterminatif.
De même la complexité d’un concept peut être perçue grâce à la diversité des déterminatifs qu’il reçoit en même temps.

C’est en exploitant de manière très judicieuse les possibilités qu’offrent les déterminatifs que Cheikh Anta Diop a réussi à confondre ses adversaires dans le domaine qui nous intéresse présentement l’appartenance raciale des anciens Egyptiens : là où beaucoup d’égyptologues occidentaux traduisent
« kmt » par « la Noire », Cheikh Anta, en jouant sur les déterminatifs soutient avec raison que kmt, devrait en toute rigueur être rendu par « les Noirs ».

En effet aucun égyptologue ne conteste le fait que l’homme et la femme ne peuvent renvoyer à autre chose qu’à une collectivité humaine ; et les traits du pluriel viennent confirmer cela.

Le mot « niwt », « ville », « village », « campement » qui se présente comme un trilitère accompagné de son complément phonétique ( et du trait qui marque l’unité ) montre clairement que où le même trilitère sert de déterminatif et ne renvoie pas à la terre en tant que matière ( qui aurait été mieux rendue par ou ) mais à la terre en tant qu’habitat :
on sait, si on ne veut pas vraiment jouer au plus fin, que quand les scribes écrivaient, ils n’avaient nullement en tête la terre noire d’Egypte comme le disent les égyptologues occidentaux mais bien les habitants noirs du pays, un habitat ne pouvant être noir ou blanc qu’à travers ses populations ; c’est dans ce sens qu’on parle aujourd’hui d’Afrique Noire et d’Afrique Blanche.[page]

C’est en exploitant les possibilités qu’offrent les déterminatifs que nous avons pu parvenir à des conclusions très importantes dans notre étude consacrée aux appuis-tête égyptiens et africains.

Si nous prenons les différentes graphies l’appui-tête égyptien rien que sur la base des déterminatifs, nous pouvons conclure que :

1) – Wrs désigne bien l’appui-tête

2) – L’appui-tête pouvait être exécuté dans du bois Sur le rôle de l’appui-tête, les déterminatifs apportent également un éclairage très intéressant : dans le passage « Ts HAt Sps in ^w », il apparaît bien que l’action d’élévation du front du vénérable défunt exécutée par le dieu Shou se fait au moyen d’un appui-tête ; le premier déterminatif de Ts ne laisse aucun doute là-dessus.

Voilà ainsi établi, à travers un simple déterminatif, l’une des fonctions essentielles de l’appui-tête égyptien qui était d’élever le défunt au ciel afin de lui permettre de renaître. Mais la particularité de l’écriture égyptienne qui dépasse même le déterminatif en matière de pertinence, est celle de l’usage du signe-mot.

Cette pratique permet en effet d’identifier directement, des objets et de les comparer avec ceux d’aujourd’hui ; et comme ces signes sont intégrés dans la graphie des noms des objets concernés, il est également possible de voir si l’objet a conservé le même nom depuis l’Egypte ancienne.

En conclusion, ces particularités sont autant d’instruments entre les mains du chercheur et lui permettent dans bien des cas de trancher avec le maximum de garanties.

Il faut cependant reconnaître qu’elles n’auraient pas donné tous les effets escomptés si les civilisations africaines n’avaient pas connu une certaine stabilité.

C – La stabilité des civilisations africaines : une chance pour la recherche.

Certains spécialistes ont critiqué l’approche qui consiste à comparer les langues négro-africaines avec l’égyptien de l’Ancien Empire. Ils pensent que la langue, évoluant, il fallait peut-être prendre l’égyptien le plus tardif, c’est-à-dire la phase copte, qui a même l’avantage d’être vocalisé.

La critique est théoriquement recevable mais il se trouve qu’en Afrique l’évolution des sociétés s’est faite de manière très lente contrairement à ce qui s’est passé en Europe par exemple.
Ce phénomène peut être noté en comparant notamment la civilisation pharaonique et les civilisations négro-africaines actuelles.[page]

( Ethiopie )

On constate en effet, avec étonnement, que les choses n’ont pratiquement pas bougé. Ce constat qui est vrai, globalement, l’est davantage pour la civilisation matérielle. Ce phénomène est dû au fait que l’évolution qualitative des moyens de production techniques s’est faite de manière lente et partielle : l’influence de l’Europe s’est cantonnée sur les côtés, laissant l’intérieur du continent dans son africanité ancestrale.

Ainsi pendant que le fer européen prenait possession de la façade maritime avec la barre de fer, la métallurgie traditionnelle conservait toute sa vigueur à l’intérieur des terres. Il en est de même que pour le textile.
( Consulter la suite dans la ‘ partie 2 ‘ )

Aboubacry Moussa Lam, Egyptologue, Docteur ès Lettres