Les racines africaines de la musique noire d’aujourd’hui.

La jeunesse noire, connaît-elle encore les origines philosophiques des musiques actuelles qu’elle affectionne ?

Cuba ( 1860 ).

La musique et la danse sont aujourd’hui les principales passions des jeunes à travers le monde.[page]

Depuis le contact avec l’occident, les musiques inventées par les Noirs sont nombreuses… Gospel, Rock’n’roll, R’n’B, Rap, Reggae, Salsa, Gwo ka, Biguine, New Jack, Reagga, Bossa nova, Zouk, Compa, Jazz, Soul, etc…

Toutes, elles puisent leurs racines communes en Afrique noire où le rythme revêtait une signification précise que nous avons depuis quelque peu oubliée.

Trompette ; Republique democratique du congo ( 19 ème siecle ).

Louis Armstrong et sa femme à Gizeh ( 1961 ).[page]

Dizzy Gillespie ( 1948 ).

Nina Simone ( Londres, 9 Janvier 1984 )[page]

Les peuples d’ascendance africaine ont toujours eut une très haute perception de la musique et du chant et cela depuis l’époque pharaonique.

Chansons populaires ou sacrées, les paroles misent en musique revêtaient des genres différents selon leur finalité sociale et culturelle…

Chants liturgiques ( pour les cérémonies religieuses ), chants pour le travail ( semailles, récoltes, construction d’une infrastructure… ), chansons familiales ( mariage, naissance, berceuse… ), chansons populaires ( fêtes, contes, deuil… ), chansons militaires ( chant de guerre, chant de chasse… ), etc… [2]

Les Africains de la période pharaonique ( Egyptiens ) célébraient chaque année une multitude de fêtes, religieuses ou non, qui leur permettaient d’organiser des concerts, des cérémonies théâtrales et autres réjouissances populaires.

En égyptien ancien, le terme désignant ces fêtes populaires est  » hb « .
( Wb.III.57.5 ).

Le terme  » hm  » s’appliquait en particulier aux cérémonies liturgiques. On retrouve cette distinction en langue Zoulou par exemple, avec les termes  » gubho  » pour  » fête populaire  » et  » goma  » pour  » fête religieuse « . [3]

Mais intéressons-nous quelque peu au savoir des Dogons pour mieux saisir les racines africaines de la musique noire.

Selon ces derniers, la parole est à l’origine créatrice de toutes les formes de vie.

 » Du Verbe de Dieu est issu l’atome de l’univers d’où sont sortis tous les êtres « .

Geneviève Calame-Griaule et Blaise Calame, résument ainsi la philosophie des Dogons.

Ils sont à l’initiative d’une vaste étude menée à partir des résultats des recherches faites sur le terrain par Marcel Griaule et Germaine Dieterlen ( 1950 ).

« La première de toutes les paroles prononcée par Nommo ( la Divinité ) exprimait l’idée même de
 » parole « . Cette première parole, disent les Dogons, se manifesta sous la forme d’un battement régulier qui fut le premier rythme, les Dogons l’appellent  » la mère des paroles  » ».[page]

La musique à Kemet ( Egypte ancienne ).

Cette  » mère des paroles  » d’essence divine est aussi l’origine de la parole humaine et des rythmes musicaux  » qui allèrent en se compliquant mais toujours en correspondance avec les paroles « , ajoutent-ils.

La suite de l’analyse nous fournit les raisons de l’existence aux Antilles de phrases en kréyol du type :

«  » I ka fè klarinet’ la palé fwansé !  » ( il fait la clarinette parler français ). Pourquoi vouloir associer le son d’un instrument à l’idée d’une parole prononcée ? D’où vient cette idée ?

Chez les Dogons, tout rythme musical produit par un tambour ou tout autre instrument peut être traduit en formules types qui représentent la parole de cet instrument, elle-même interprète de la voix du moniteur ou des ancêtres réglant la marche du monde ».

Ainsi jouer d’un instrument pour l’africain, c’est en fait le faire  » parler « .

Musique et Parole sont un tout car les instruments ne sont que les porte-paroles du divin ( Nommo ) ou des ancêtres lumineux séjournant près du divin, qui  » continuent à assurer le maintien en équilibre de l’univers et de la société des hommes « .[page]

La musique comporte encore la vertu prodigieuse de féconder et de vivifier  » car elle est de la même essence que l’eau, source de vie « . Les Dogons affirment que cette substance subtile est logée à l’état latent dans le corps de l’homme  » en compagnie des huit graines qui constituent les principes vitaux de la personnalité « .

L’art du poète ou du chanteur consiste à rendre la parole fécondante et vivifiante. A ce titre, la musique est aussi utilisée en Afrique dans le cadre de la médecine pour guérir ( ou plutôt vivifier ) les malades.

Le couple parole/musique est ainsi à la base de toutes les conceptions musicales et cosmologiques négro-africaines.

Danseurs dogon au Mali.

L’émetteur naturel de la parole, selon les Dogons est  » constitué comme une forge symbolique, dont le foyer est le cœur, rouge et palpitant comme le feu. Le foie, au niveau duquel se passent d’importants échanges biochimiques, est semblable à un récipient dans lequel l’eau, chauffée par le cœur, entre en ébullition et se transforme en vapeur, légère en cas de bonnes paroles, brûlantes dans le cas de mauvaises.

Projetée à l’extérieur par les poumons qui jouent le rôle de soufflets, la vapeur se dirige en suivant une ligne hélicoïdale qui est celle de la vibration créatrice et pénètre par l’oreille de la personne de l’auditeur.[page]

Suivant en sens inverse son chemin initial, elle condense et redevient liquide. Elle est alors acheminée par les différentes parties du corps « .

Cette vision philosophico-spirituelle de la musique devrait inspirer une profonde réflexion sur la nature et le message des musiques actuelles.

Les jeunes ne doivent pas oublier le sens profond de la musique et le vertus que nos ancêtres lui accordait, au profit d’intérêts commerciaux qui contribuent à dévaloriser le sens même de cet art.

Prenons humblement conscience du message des Dogons, et tâchons d’être à la hauteur de leurs idéaux.

L’Harmonie du monde.

L’ouvrage d’Oscar Pfouma, qui fut l’une des sources de documentation pour cet article, se consacre à l’étude des sources africaines de la musique depuis l’antiquité pharaonique.

( Extrait d’un article publié dans le n°2 de la revue Afrik@raibes mag. [1] )[page]

Références bibliographiques :

[1] Pensez à vous abonner à notre revue scientifique Afrik@raibes mag pour soutenir notre initiative.
[2] Cf. L’harmonie du monde, Oscar Pfouma, éd. Menaibuc.
[3] CF. L’Ibis du savoir, Tyanaba n° 3, Alain Anselin.

Jean-Philippe Omotunde