En mars 1848 en Guadeloupe et en Martinique, les esprits s’enflamment pour la énième fois. Les nègres refusent de se rendre aux ateliers et les premiers heurts commencent. L’administration coloniale reste intransigeante. Pas question de céder devant les esclaves ! La tension monte d’un cran.
Deux événements vont alors déclencher l’insurrection tout d’abord à Madininafrica :
– L’arrestation de l’esclave Roumain, le 20 mai 1848, qui avait refusé d’obéir à un ordre l’obligeant de cesser de jouer du tambour
– La fusillade du Prêcheur, le 22 mai où plus d’une soixantaine d’esclaves sont tués et plusieurs autres blessés dans une embuscade tendue par les Békés ( blancs propriétaires des plantations ), armés jusqu’aux dents, depuis les événements précédents.
C’est la goutte d’eau qui fit déborder une coupe déjà plus que pleine et soudainement se fut la révolte ! Des centaines d’esclaves armés convergent vers Saint Pierre, les maisons des Békés brûlent et avec une rapidité incroyable, le mouvement se propage à toute l’île. Une seule chose peut arrêter les esclaves dans leur grande marche dévastatrice… La liberté !!!.
Vite dépassé par les évènements, le gouverneur de la Martinique, Rostoland, comprend que cette fois les nègres sont tous unis et déterminés. Ainsi le 23 mai 1848, courageusement, il éditât un décret abolissant officiellement l’esclavage dans cette colonie. Par ailleurs, il envoya une lettre au gouverneur de la Guadeloupe pour l’informer en ces termes :
» Nous sommes dans une position épouvantable. Hier j’avais reçu des nouvelles alarmantes de St Pierre. Je me suis rendu tout de suite dans cette ville, mais déjà une députation du Robert était venu me demander protection contre les ateliers qui refusaient en masse le travail et qui devait, disait-on, se diriger sur le Morne Vert Pré, pour se répandre là sur le Lamentin.
Après avoir ordonné quelques dispositions, je me suis embarqué pour St Pierre où je suis arrivé à 8 heures du soir. Dès 7 heures j’avais vu tout le Prêcheur en feu et jugé que l’incendie faisait de rapide progrès dans le quartier du fort où il avait éclaté aussi. Presque toute une rue était la proie des flammes. On évalue à 20 le nombre des victimes qui ont péri par le feu ou le fer des assassins. Le Conseil Municipal de cette grande cité, à l’unanimité avait le 22 demandé l’émancipation immédiate, réservant toutefois la question de l’indemnité. (…) J’ai cherché vainement à arrêter le mal, l’exaspération était à son comble, le peuple en pleine révolte.
Ce matin, le conseil municipal est venu en masse réitérer sa demande comme mesure unique de salut. J’ai convoqué le conseil privé, les chefs de l’administration seront ici ce soir, je pense que nous décréterons, vu l’urgence, l’émancipation, ainsi que le propose la municipalité. (…) La responsabilité est lourde mais je suis fermement décidé à en accepter toutes les[page]
conséquences heureuses si je puis, par cette mesure, sauver toute la population du danger immense qu’un plus long retard ferait naître « .
Au moment où Layrle,le gourverneur de la Guadeloupe reçoit cette lettre, l’île est depuis 1847 en effervescence progressive.
La colère monte et plutôt que de se montrer ferme et intransigeant, les autorités coloniales multiplient les concessions et les appels au calme en allant même jusqu’à évoquer mai 1802 et la répression féroce des forces coloniales.
La stratégie générale vise à calmer les esprits en multipliant les décrets d’affranchissement d’esclaves et à promettre pour bientôt l’abolition.
En consultant la Gazette, ( journal officiel de l’époque ), on constate rapidement que ces affranchissements validés par le Conseil colonial, occupent une place importante, il fallait que cela soit su.
On cherche à gagner du temps car le rapport de forces est défavorable aux coloniaux et la question de l’indemnité des propriétaires blancs n’est toujours pas réglée. [page]
Le 26 mars, le gouverneur de l’île édicte une proclamation d’appel au calme. Le 27, c’est le Président du Conseil Colonial Ambert, colon esclavagiste, qui promet pour bientôt l’abolition. Le 29, c’est le tour du maire de Basse Terre, Lignières puis à nouveau au tour du gouverneur, Layrle. La valse des appels au calme et à la patience se poursuivra, autorités coloniales, collectivités territoriales, clergé… tous se relieront pour désamorcer la rébellion qui se prépare. L’objectif étant aussi faire en sorte que la liberté vienne du maître.
Le 28 mars, le supérieur apostolique des missions de la Guadeloupe adresse une lettre aux ecclésiastiques à qui ils demandent de la lire à haute voix aux esclaves durant l’office :
« Attendez avec calme les nouvelles qui viendront de la métropole et qui vous seront communiqué par l’intermédiaire de ses magistrats. Outre qu’une attente paisible est pour tous sans danger, que chacun comprenne bien qu’un seul acte de désordre et de rébellion peut compromettre soudain, avec la tranquillité publique, nos intérêts les plus chers et amener ainsi sur nous des maux dont l’humanité et la religion auraient peut être longtemps à gémir ».
Le 4 avril, le gouverneur de la Guadeloupe s’adresse à nouveaux aux esclaves en ces termes :
« Mes amis (sic), Vous avez tous appris la bonne nouvelle qui vient d’arriver de France. Elle est bien vraie, la liberté va venir ! courage mes enfants vous la méritez. Ce sont vos maîtres qui l’ont demandé pour vous. L’ancien gouvernement vous l’avait refusée parce qu’il voulait que chacun de vous se rachetât, mais la République au contraire va vous racheter tous à la fois. Mais il faut que la République ait le temps de préparer les fonds du rachat et de faire la loi de la liberté. Ainsi, rien n’est changé[page]
jusqu’à présent. (…) Vous demeurez esclaves jusqu’à la promulgation de la loi. (…) mes amis, soyez dociles aux ordres de vos maîtres pour montrer que vous savez qu’il n’appartient pas à tout le monde de commander ».
Le 7 avril, le directeur de l’intérieur envoie une lettre circulaire aux maires demandant aux maîtres d’abolir les châtiments corporels pour apaiser les esprits. Le 28 avril, le gouverneur écrit sa deuxième lettre de la journée au ministre des colonies, cette fois, c’est un véritable cri de détresse qu’il lui lance :
« Au Petit Canal, des agents de police ont voulu faire cesser de force un bamboula ( soirée lewoz ) sur l’habitation de Deville, il en est suivi une rixe par suite de laquelle l’un des agents de police est mort de ses blessures (…) Les noirs sont travaillés par certains agitateurs qui les égarent sur leur situation et qui détruisent la confiance qu’ils auraient dans l’avenir (…) Il n’y a donc pas un instant à perdre. Citoyen Ministre, il faut décréter l’émancipation promise afin d’éviter des troubles et des maux incalculables ».
C’est dans ce contexte d’agitation que le gouverneur de la Guadeloupe reçoit la lettre de celui de la Martinique lui annonçant que décision avait été prise d’abolir l’esclavage pour éviter une révolte massive.
En mai 1848, un certain Chambert envoi un courrier au Ministre des colonies pour lui annoncer que près de 13 000 esclaves en provenance de Baie Mahault, Pointe à Pitre et de la Grande Terre se sont rassemblés à la Gabarre.
Si les chiffres sont exacts, il s’agit du plus grand rassemblement d’esclaves. Cela prouve que les esclaves se sont entre temps organisés et qu’ils suivent leurs leaders.
Le samedi 27 mai 1848 à 6 heures du matin, le gouverneur convoque en urgence le conseil privé avec un seul point à l’ordre du jour… l’abolition immédiate de l’esclavage !
La séance se terminera à 9 heures non sans le vote unanime de l’assemblée en faveur de l’abolition sans pour autant que le problème de l’indemnisation soit réglé. Peu après, layrle rédigea sa proclamation en ces termes :
« République Française Liberté- Egalité-Fraternité Proclamation du gourverneur de la Guadeloupe. Il n’y a plus d’esclavage en Guadeloupe. L’esprit de sagesse et de modération dont la population esclave a fait preuve méritait une récompense. Il m’a permis d’avancer le jour de la liberté. Que nos nouveaux concitoyens continuent d’être modérés et sages. Qu’ils s’élèvent par le travail, les bonnes moeurs, la religion à toute dignité d’homme libre ![page]
Qu’ils aident à rendre ce beau pays riche et florissant. Des mesures pour réprimer le désordre et le vagabondage seront immédiatement arrêtées. Tous mes soins, mes efforts seront consacrés désormais à obtenir pour les maîtres une légitime indemnité. Vive la République. Fait à l’hôtel du gouvernement, Basse Terre le 27 mai 1848, Layrle ».
La Gazette officielle du 31 mai relate en termes dithyrambiques ces allocutions. Voté en métropole le 27 avril 1848, le décret abolissant l’esclavage arriva sur l’île escorté par le général Gatine, le 5 juin 1848. Il ne pu s’empêcher de déclarer :
« Je croyais descendre sur une terre d’esclavage et je mets le pied sur une terre de liberté ».
A pa schoelcher ki libere neg !!! ( Ce n’est pas Victor Schoelcher qui a libéré les Nègres !!! )