Le rôle du verbe et de la connaissance dans la création.

Dans l’une des versions cosmo-théologiques élaborées par les prêtres du temple sacré de la ville égyptienne d’Héliopolis ( Iounou ), on découvre que Dieu a du faire appel à deux de ses facultés initiales pour créer  » tout ce qui est venu à l’existence  » à savoir, tout ce qui existe.

Pour Morenz cependant, il faudrait chercher les racines de cette pensée dans les textes sacrés de la ville de Memphis, autre lieu théologique. Mais le professeur Mubabinge Bilolo, tenant compte des incertitudes planant sur la date de la création du document de Memphis, trouve plus sage d’en accorder la primauté à Héliopolis. C’est donc par la mise en action ou la vitalisation de deux de ses pouvoirs ontologiques que le ciel, la terre et tout le reste ont été crée par Dieu.

Ces deux facultés initiales ( Neterou ) sont  » Sia  » et  » Hou « , c’est à dire, la  » Connaissance/pensée  » et la  » Parole/Commandement « .

C’est donc par sa faculté de  » Penser « , d’imaginer, de percevoir et de visualiser le monde à travers une démarche raisonnée, rationnelle et aussi celle  » d’Ordonner  » et de commander aux choses en faisant appel aux sons ( la voix, le verbe créateur ), que le démiurge a donné vie aux divers êtres qui peuplent la terre. C’est de là que viennent les idées émises par le texte de la création dans sa version chrétienne :
 » Que la lumière soit « , bien que l’explication dans ce cadre, soit encore superficielle.

À ce titre,  » Sia  » et  » Hou  » sont les deux premières divinités issues de Dieu et sont par conséquent, des parcelles divines de Dieu en ce sens qu’elles révèlent au grand jour certaines de ses facultés jusque là cachées. Donc pour créer le monde, Dieu a du d’abord faire appel à ses propres facultés en ce sens qu’il a du leur donner vie. Il est donc le créateur de ses propres facultés initiales. Fidèle à sa tradition spirituelle de garant de l’ordre divin sur terre, le Roi de Kemet ( l’Egypte ) devait agir en veillant à rester conforme aux valeurs spirituelles de  » Sia  » et de  » Hou « , pour accomplir pleinement sa mission, à savoir remettre Maat ( ordre ) à la place d’Isefet ( désordre ) partout dans Tamery ( le pays bien aimé ).

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Pour les prêtres africains, si le siège de la connaissance était le cœur, celui de la parole était la langue, voir la bouche ou les lèvres.

Ainsi, en parlant de Dieu, les anciens disaient :  » Sia est son cœur, Hou ses deux lèvres  » ou encore lorsqu’ils donnent la parole aux créations :  » Je suis Hou sur sa bouche et Sia qui est dans son corps « .

On obtient au final  » Hou est dans ta bouche, Sia dans ton cœur et le mouvement de ta langue est le cri de la Maat « .
( Cf. Textes des sarcophages, sp. 647 ).

Le cœur ( dans le corps ) pense, conçoit l’idée de la création selon l’ordre divin Maat et la langue reprend l’idée et l’exprime verbalement engendrant la création, acte que seul Dieu appelé Amon ( pour le caché ), Ra ( pour le rayonnant ), Atoum ( pour le créateur ) peut accomplir.

Le  » cœur-pensant  » ( parole intérieure ) a donc une primauté sur la langue ( parole extérieure ) qui a pour mission d’exécuter ce que le cœur a pensé. Ainsi, les connaissances et les pensées résident dans le cœur. Dans cette optique, somme toute logique, la parole devient le véhicule de la pensée. Dieu imagine puis crée par la parole, par le verbe. La parole devient le lieu de passage de l’imaginaire à la réalité tangible.

Un extrait du papyrus Leyde nous aide à cerner la pensée des prophètes africains de la période pharaonique :

 » Dieu apparut sur son trône quand son cœur le voulut… et il était seul. Il commença à parler au milieu du silence… Il commença à crier, la terre était dans une stupeur silencieuse. Ses rugissements ont circulé partout sans qu’il eût un second Dieu ( avec lui ) ; faisant naître les êtres a qui il a donné la vie. « 
( Cf. A. Moret, Mystères Egyptiens, Paris. )

D’autres textes disent encore :  » Sa parole est une substance… Ce qui sort de l’ouverture de sa bouche se réalise… Ce qu’il a dit en son cœur on l’a vu venir à l’existence « . Il en résulte que tout ce qui existe provient du verbe divin Medou ( paroles divines ), Hou ( connaissance ), Maat ( ordre divin ).

Conclusion… :

Sur la fresque représentant la création issue de Dieu, les principales divinités sont dans une grande barque. A l’arrière, seuls  » Sia  » et  » Hou  » possèdent chacun une rame. Ce qui veut dire que la mission[page]

de la création s’accomplit par sa faculté de penser dans le cœur ( réguler ses pulsions matérielles, respecter l’ordre divin, respecter la création dans sa diversité, être un être de lumière comme Ra… ) et celle de créer par la voix, ( matérialiser ) conformément aux principes divins énoncés par la Maat
( vérité/justice/ordre/sagesse ).

L’idée de matérialiser/disséquer/distinguer chacune des facultés de Dieu est une façon particulière d’apprécier ses facultés et sa puissance.

Par cette action, les Africains anciens ont voulu faire preuve d’esprit d’analyse méthodique ( on pense puis on crée ) et aussi ont cherché a faire appel au Divin à travers l’une ou l’autre de ses facultés en fonction de leur besoin ( parole, pensée, discernement, sagesse… ).

Ces quelques lignes illustrent si besoin est, la profondeur spirituelle des prophètes et prêtres de l’Afrique ancienne ( Kemet, la civilisation noire, ou Tameri, le pays bien aimé ). On peut dès lors comprendre d’où vient la tradition du  » verbe créateur  » véhiculée par d’autres religions.