L’Afrocentricité… Vers une nouvelle compréhension de la Pensée Africaine dans le Monde.

Molefi Kete Asante.

L’Afrique a été trahie par le commerce international et le négoce…

Souvent, l’Afrique a été trahie par la nouvelle science de la génétique alimentaire et la répartition inégale des ressources.

L’Afrique a été trahie par les missionnaires et les imams ; ces derniers ont appelé nos prêtres et prêtresses des charlatans tout en élevant les ennemis de l’Afrique au rang de sauveurs.

L’Afrique a été trahie par l’enseignement, les institutions et la matrice du savoir imposés par le monde occidental.

Souvent, l’Afrique a été trahie par ses propres dirigeants lesquels ont démontré une aptitude dans l’art d’imiter les pires habitudes et comportements de l’Europe.

Souvent, l’Afrique a été trahie par l’ignorance de son peuple au sujet de son propre passé.

En conséquence, les Africains sont les êtres les plus trahis de notre temps.[page]

Ceux qui ont été si souvent trahis doivent sérieusement reconsidérer leur approche quant aux phénomènes, à la vie, à l’existence, au savoir.

Les trahisons ne doivent pas perdurer et nous ne devons pas reléguer l’Afrique au tas d’immondices de l’Histoire comme un certain nombre d’Africanistes et de non-Africanistes le clament.

Un continent et un peuple dotés d’un incroyable potentiel peuvent relever n’importe quel défi mais notre réflexion doit redevenir la nôtre, loin de la pensée esclavagiste de ceux qui ont œuvré pour la domination raciale.

Il va de soi, que lorsque je m’exprime en ces termes, je parle de l’Afrique dans le contexte et l’esprit de Marcus Garvey.

Dans l’ordre, George O. Marke, le Prince du
Dahomey Kojo Tovalou-Houenou et Marcus Garvey ( 1924 ).[page]

J’accepte que l’Afrique n’est pas qu’une entité géographique mais un monde en soi issu tant de notre propre imaginaire que, comme cela semble plus probable, du résultat des assauts, attaques et agressions perpétrés à l’encontre du peuple africain.

Nous sommes présents sur tous les continents et occupons des postes d’influence dans des pays aussi éloignés les uns des autres que le Brésil et le Royaume-Uni !

Mon objectif est d’aider à élaborer un plan pour la réhabilitation de la place de l’Afrique, de sa respectabilité, de son sens de la responsabilité et de l’autorité.

Le thème de cette conférence nous mène droit au cœur de l’avenir des interactions humaines en cherchant à analyser le savoir occidental… sa construction… son rapport à la conquête et à la domination… et son acharnement en tant qu’instrument véhiculant l’idée d’une suprématie de la race blanche dans le monde.

Nous savons bien que les Africains ont pensé l’univers depuis plus longtemps que tout autre peuple. Les habitants de couleur noire peuplent ce monde depuis longtemps.

D’ailleurs, la philosophie est née en Afrique et les premiers philosophes étaient africains.

La tradition africaine est intrinsèquement liée aux toutes premières pensées philosophiques.

Or dès l’amorce de l’intérêt de l’Europe pour l’Afrique, les auteurs européens qualifiaient les anciens traités africains de  » Littérature de la Sagesse  » en une tentative de différenciation négative entre la pensée Africaine et la pensée Européenne. Il leur était impossible de concevoir que les Africains puissent détenir la philosophie.

Selon eux, la philosophie devait annoncer un type de réflexion que seuls les Grecs possédaient. Ils bâtirent une Grèce miraculeuse reposant sur les fondements d’une imagination raciale qui établissait une supériorité absolue de l’Europe blanche.

Considérée au cours de la période néo-classique de l’histoire de l’Europe comme étant à l’origine des autres arts et sciences, la philosophie se révéla la discipline principale.

Ils la considérèrent selon les préceptes Darwiniens qui allaient jusqu’à établir une hiérarchie du savoir.[page]

Charles Darwin

A ce propos, je me souviens encore, comment dans le Sud des Etats-Unis, alors que j’étais enfant, les Blancs interdirent aux Noirs d’actionner de grosses machines sous prétexte que ce travail était trop intellectuel pour eux.

Un grand nombre d’auteurs européens glorifièrent les œuvres émanant de l’esprit grec. Un érudit grec détenait les clés de chaque savoir dans l’esprit européen. Plus aucun secret n’était inconnu des Grecs.

Ils ne prêtaient allégeance à personne. Ils étaient purs, sans la moindre tache, isolés de tous les autres peuples et véritable référence à laquelle le monde se devait d’adhérer.

Que ce soit dans les Arts ou les sciences, en sculpture ou en mathématiques, en astronomie ou en littérature, ils étaient sans antécédent et demeuraient sans égal.[page]

Zeus, père des autres dieux et des hommes chez les grecs.

D’après la pensée occidentale, la philosophie était la discipline dans laquelle les Grecs excellaient.

Ainsi que Théophile Obenga le souligne, il se peut que d’autres peuples aient eu la religion, les contes, les proverbes et la littérature de la sagesse mais les Grecs maîtrisaient la philosophie.

C’était la plus haute des disciplines et ce ne fut qu’à travers l’esprit des Blancs que la philosophie vit le jour.

Or nous savons que le terme philosophie n’était pas grec, bien qu’il parvint à l’Anglais et aux autres langues européennes par le Grec ancien. Seba, sagesse, l’ancien mot égyptien ( Mdw Ntr ) est le tout premier exemple de réflexion philosophique.
D’ailleurs, sur la tombe d’Antef I, 2052 avant Jésus Christ, nous voyons mentionné pour la première fois le mot sagesse.

Le mot sophia, sagesse en grec, vient du mot africain plus ancien, seba. Dire en grec  » philo  » revient à dire frère ou amant. L’on dit en général qu’un philosophe est un  » amoureux de la sagesse « .
Pourtant, les premiers Africains en étaient arrivés à cette conclusion bien avant qu’une nation grecque ne vit le jour.[page]

De ce fait, les premiers penseurs et philosophes reconnus n’étaient pas grecs. Ainsi ni le mot philosophie ni sa pratique ne sont d’origine grecque mais africaine.

Thalès, lequel vécut vers 600 avant Jésus-Christ est généralement considéré comme le premier philosophe grec.

Certains prétendent que c’était Pythagore, plus jeune que Thalès mais, je prétends, en accord avec la plupart des chercheurs grecs qu’il s’agissait bien de Thalès puisque il est dit qu’il enseigna au jeune Pythagore  » Fais comme moi et va en Egypte apprendre la philosophie des Egyptiens « .

Pythagore suivit son conseil et se rendit en Egypte où il passa vingt-trois ans aux pieds de professeurs aussi vénérables que Wennofer.

En de nombreux haut-lieux, différents thèmes philosophiques y étaient enseignés à savoir l’éthique sociale, les lois naturelles, la métaphysique et la médecine.

On pouvait étudier au Temple de Ptah à Men-nefer, au Temple de Bast à Bubastis, au Temple d’Hatheru à Dendera, à l’Ausarion d’Abydos, au Temple d’Amen à Waset, au Temple d’Héru à Edfu, au Temple de Ra à On, et au Temple d’Auset à Philae.

En effet, érudits et autres se réunissaient en de nombreux autres sites de Siwa à Esna pour des discussions et débats intellectuels.

Aucune ville, néanmoins, n’était aussi riche en temples et écoles que Waset dans laquelle les temples d’Amenhotep III, Seti I, Nefertari, Hatshepsut, Tuthmosis III, Mentuhotep, et le Ramesseum étaient en plein essor au cours de la période allant du Moyen Empire au Nouvel Empire.

Kemet, l’ancien nom de l’Egypte, était loin d’être démunie d’un vaste corpus de réflexions amassé pendant des siècles.

A l’époque où les Grecs commencèrent à venir en Egypte étudier aux 7e et 8e siècles, les philosophes égyptiens avaient déjà fondé d’immenses bibliothèques spécialisées dans l’histoire, les sciences, la politique et les religions.

Le long du Nil, les Africains portèrent leur réflexion sur le sens de l’univers, l’origine du bien et du mal, les relations entre les individus, la gouvernance de la société, la nature de l’au-delà, la conception de la beauté et la nature du divin.[page]

Mon intérêt ne porte pas ici sur l’influence que l’Afrique eût sur l’Europe ou l’influence que Kemet eût sur la Grèce. En réalité, je crois qu’il est temps que nous dégagions l’étude de l’Afrique ancestrale de toute comparaison avec l’Europe car l’Europe ne se situe pas sur la même lignée historique.

Nous deviendrons beaucoup plus savants sur nos propres cultures au fur et à mesure que nous parviendrions à obtenir une connaissance approfondie de nos sociétés en matière de transmissions, de migrations, de savoirs liés à la propriété, de relations familiales, de gouvernance, de styles et techniques littéraires et du sens de la moralité selon les Africains.

Peut-être qu’un jour le nom des premiers philosophes nous paraîtront aussi familiers que les noms des philosophes grecs aujourd’hui. Pourquoi le monde ne devrait-il pas connaître le nom des philosophes qui bâtirent l’édifice de la civilisation de l’humanité ?

Imhotep, 2700 avant Jésus-Christ, première grande figure de l’histoire. Tels Socrate et Jésus, aucun de ses écrits n’a survécu mais nous savons qu’il avait maîtrisé les notions de volume et d’espace puisqu’il fut l’architecte de la première pyramide, la pyramide de Saqqarah.

Il fut le premier philosophe, le premier physicien, le premier architecte et le premier conseiller du roi dans l’histoire. Sa biographie et son travail inscrits sur les murs des temples et les papyrus illustrent le respect qu’il inspirait.[page]

Ptahhotep, 2414 av. J.C., premier philosophe de l’éthique. Il croyait que la vie consistait à vivre en harmonie et en paix avec la nature.

Ptahhotep.

Tout discours traitant de la relation entre les êtres humains et la nature est un hommage à la vie de Ptahhotep.

Kagemni, 2300 av. J.C., le premier à enseigner la bonne action au nom de la bonté et non du profit personnel se révéla au monde en un philosophe africain presque mille huit cent ans avant Bouddha.[page]

Kagemni.

Merikare, 1990 av. J.C., valorisa l’art du discours. Ses enseignements classiques à ce sujet furent consignés et transmis de génération en génération.

Sehotepibre, 1991 av. J.C., fut le premier philosophe à épouser une forme de nationalisme fondée sur l’allégeance et la loyauté à un dirigeant politique.

Amenemhat, 1999 av. J.C., le premier cynique reconnu dans le monde. Il soutint une vision cynique quant au cercle des intimes et amis, appelant à rester sur ses gardes face aux proches.

Amenhotep, fils de Hapu, 1400 av. J.C., fut le plus vénéré des anciens philosophes Kémit. Avec Imhotep,il était l’incarnation même du philosophe. Il fut élevé au rang de Dieu, tout comme Imhotep, bien avant Jésus. Il fut considéré comme le plus savant des penseurs de son époque.

Duauf, 1340 av. J.C., fut perçu comme le maître des protocoles. Son but était de lire afin d’acquérir la sagesse. Premier intellectuel de l’histoire philosophique. Lire, disait-il, était le meilleur moyen d’exercer l’esprit.[page]

Amenemope, 1290 av. J.C., mit en avant la philosophie des bonnes manières, de l’étiquette et du succès. Akhenaton, 1300 av. J.C., éleva Aton au rang de Dieu tout puissant.

Amenemope et son épouse.

Tous ces philosophes vécurent des centaines d’années avant les philosophes grecs.

D’ailleurs, Homère, le premier Grec ayant écrit de manière intelligible, vécut vers 800 av. J.C. Mais, il n’était pas philosophe.

Il séjourna et étudia en Afrique.[page]

Kung Fu Tzu, 551 av. J.C., ce grand philosophe Chinois était persuadé que les humains étaient capables d’élargir la Voie. Il vécut bien plus tard que les philosophes africains.

Siddartha Bouddha, 563 av. J.C., le philosophe indien vécut à peu près à la même époque tout comme Isocrate, qui vécut vers 500 av. J.C.

[page]

 » L’afrocentriste  » que je suis aujourd’hui aborde l’élaboration de la connaissance selon un point de vue qui place les Africains en tant qu’acteurs et non simplement les spectateurs de l’Europe. Puisque l’afrocentricité constitue une nouvelle approche dans l’analyse de données, une nouvelle orientation, elle véhicule des hypothèses sur l’état actuel du monde africain.

Par exemple, l’on admet que les Africains agissent très souvent sur le plan intellectuel, philosophique et culturel en-dehors des réalités africaines et en conséquence, se trouvent délocalisés, détachés, isolés, excentrés ou désorientés. L’on veut croire aussi que l’état actuel du monde africain sert les intérêts économiques et politiques de l’Occident et dessert aussi bien l’Afrique que les Africains.
Il en découle ainsi des différences d’opinions au sujet de la valeur de l’Afrocentricité.

Ceux qui nous ont éloigné du centre cherchent à maintenir leur position sur nos bases intellectuelles et philosophiques en sapant tout mouvement visant à former les Africains à se considérer comme des acteurs principaux du monde et non comme des acteurs en marge de l’Europe.

Quelles sont les questions brûlantes ardemment débattues par Stephen Howe dans son livre
 » Afrocentrism  » ou par les réactionnaires français François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot dans leurs virulentes attaques dans leur ouvrage récemment paru
 » Afrocentrismes  » ?

J’ai déjà bien sûr répondu à un très grand nombre de critiques dans mon livre  » The Painful Demise of Eurocentrism « .

Mais qu’est-ce qui provoque cette peur chez autant de chercheurs blancs et de chercheurs  » noirs blancs  » ?

D’après une configuration culturelle, l’idée afrocentriste se distingue par cinq caractéristiques :

I) – Un intérêt majeur pour le positionnement psychologique déterminé par les symboles, les motifs, les rituels et les signes…

Il y a quelques semaines, je conduisais sur une route de campagne isolée, située en plein cœur du Ghana et me retrouvai dans un petit village composé de six ou sept maisons ainsi que d’une église.

L’église était l’édifice le plus remarquablement entretenu dans ce lieu et juste au-dessus de la porte d’entrée se trouvait une large représentation d’un Jésus blanc.[page]

Pour moi, aucun autre exemple ne peut mieux souligner ce sinistre problème qu’est l’action inappropriée, la profonde décontextualisation.

Il n’existe aucune référence pour cette situation autre que celle de la domination de l’Europe dans l’esprit de l’Afrique. Il n’y a plus rien à dire et l’on ne devrait plus rien dire. On ne devrait ni en accorder une valeur, ni même en discuter ou en débattre.

On doit tout simplement l’éradiquer.

Je crois que les signes, symboles, rituels et cérémonies sont utiles aux sociétés, et de surcroît, j’accepte le fait que les sociétés se maintiennent et se désagrègent à partir de symboles. Nous faisons la guerre à cause de symboles, nous nous battons au sujet des valeurs liées au respect et nos vies se trouvent enrichies par le souvenir de ceux qui sont devenus des héros en défendant ce auquel nous croyons.

Aux Etats-Unis, nous avons mené un combat contre l’état de la Caroline du Sud, premier état à s’être déclaré indépendant de l’union durant la guerre civile du siècle dernier ; aujourd’hui cet état est l’un des derniers à avoir renoncé au drapeau des Confédérés, qui symbolisait l’esclavage, l’injustice, la bigoterie et la domination blanche.

Le  » confederate flag « .[page]

Un grand nombre d’habitants blancs de cet état soutiennent l’idée que le drapeau représente le symbole du combat de leurs ancêtres contre le gouvernement et croient qu’il devrait être hissé en haut du Capitole.
Il va de soi que nous, Africains, descendants d’esclaves le perçoivent comme le symbole pervers du racisme.
Le débat se situe au niveau d’un symbole ayant engendré la haine et la bigoterie au nom d’une société unie ou comme un moyen donné d’encourager la répression d’une minorité.

Il est clair pour nous que le symbole du drapeau des Confédérés ne vise pas à unifier la communauté.

Il divise et ce de manière intentionnelle.

Ici au Royaume-Uni, vous n’êtes pas sans ignorer la tyrannie de la suprématie raciale et religieuse et l’utilisation fortement abusive de symboles et de rituels de certains pouvoirs.

Mais mon but, pour revenir à mon propos, est de démontrer que l’intérêt majeur de l’Afrocentriste pour le positionnement psychologique, c’est-à-dire, lorsque le psyché d’un individu n’est plus en rapport avec sa propre réalité historique, est un problème légitime pour toute action rectificative.

Un Africain ne peut pas bâtir une église au cœur de la Côte d’Ivoire plus imposante que la Basilique de St-Pierre à Rome sans se demander ce que nous, Africains, pensons de nos propres ancêtres !

Un autel d’une valeur de cent ou deux cent millions de dollars en l’honneur d’une divinité africaine aurait pu changer à jamais le respect de la religion en Afrique.

Mais un peuple qui ne voue aucun respect pour ses propres dieux ne devrait pas s’attendre à être respecté.

Je dis cela en tant que non-religieux. Je parle du symbolisme pur, de la rationalité pure, et non de l’irrationalité, je parle du bon sens.

Si vous êtes sur le point d’utiliser votre argent comme vous le devriez pour améliorer les conditions sanitaires, les projets éducatifs et les conditions économiques pour le peuple africain et bien, par Dieu, utilisez le pour mettre en scène vos propres ancêtres et non pour rivaliser avec Rome pour savoir qui peut bâtir le plus grand monument européen en Afrique ![page]

L’Europe n’a eu aucune difficulté à asseoir sa suprématie sur la terre entière. ( p.81 ) Huntington affirme que l’Occident :

fut le détenteur du système bancaire international,
contrôla toutes les monnaies fortes,
fournit la plus grande partie des produits finis dans le monde,
exerça une autorité morale sur d’autres chefs d’état,
se montra capable d’interventions militaires massives,
contrôla les voies navales,
dirigea la recherche technologique la plus avancée,
domina l’accès à l’espace,
domina l’aérospatiale,
domina les communications internationales,
domina la production d’armes ultra sophistiquées.

Nous ne cherchons ni l’hégémonie ni la domination, nous abhorrons l’idée qu’un groupe d’individus devrait imposer sa volonté sur autrui, contre la volonté de ce dernier. Mais c’est justement cette volonté délibérée de la part des Blancs de maintenir cette suprématie sur les Africains qui a causé tant de tensions raciales et d’agitation.

Non seulement le temps ne joue plus en faveur de cette domination, mais de plus, le monde n’y adhère plus.

Toutefois, les effets tenaces de plus de trois cent ans de domination psychologique et culturelle nous ont laissé hors des enjeux économiques et politiques.

II) – un engagement à trouver la place-sujet des Africains dans les domaines social, politique, économique ou religieux et impliquant les questions sur le sexe, le genre et la classe…

L’Afrocentriste s’engage à croire que les Africains sont des acteurs du monde et en conséquence, ne doivent pas être perçus comme de simples spectateurs. Mais, toutefois, il faut reconnaître que ces mêmes acteurs peuvent avoir une action inappropriée, ce qui constitue un problème de réelle ampleur. Il ne faut pas nécessairement être Blanc pour servir certains intérêts aux Etats-Unis, l’on peut être Noir et servir des intérêts d’ordre hégémonique contre les Noirs.

Aujourd’hui, un homme Noir du parti conservateur se présente en tant que candidat à la vice-présidence[page]

sur les listes du Reform Party de Pat Buchanan, l’un des retours en arrière les plus effrayants en matière de politique nationale. Il y a toujours de vilains petits canards qui caquettent au moindre ordre proféré par ceux qui désirent le pouvoir.
Ainsi le problème de ces Africains éjectés des enjeux importants est un problème d’ordre mondial.

Ce n’est pas juste un problème américain ou anglais, c’est un problème qui persécute les Africains au Canada et en Australie. Il apparaît tous les jours en Afrique du Sud et au Nigeria, au Ghana et en Côte d’Ivoire.

Nous sommes partout confrontés à l’éventualité d’être mis en marge, mais la mission de notre génération est de résister aux assauts hégémoniques du matin jusqu’au soir. Nous ne pouvons le faire, cependant, qu’en recherchant la place-sujet. Nous demeurons l’un des seuls peuples qui a permis aux autres de devenir des experts de notre histoire et de nos ancêtres ; c’est l’origine du désordre.

Les Ghanéens vous reportent souvent vers  » Rattray  » pour des informations concernant les coutumes Asante et certains Nigerians pensent encore que  » A Tropical Dependency  » de Lady Lugard en dit long sur le Nigeria.

Les Afrocentristes ont pour position de considérer toute forme de discrimination raciale, sexuelle, de genre et de classe ainsi que l’exploitation comme purement et simplement condamnables.

Toute analyse afrocentriste critique la domination. De surcroît, toute analyse afrocentriste est une critique du principe de hiérarchisation et de la notion du patriarcat car cette analyse provient des différentes formes d’oppression.

III) – une défense des éléments culturels africains comme étant valides historiquement dans le domaine de l’art, de la musique, et de la littérature…

Puisque l’Europe a promu la Grèce au rang de norme par laquelle elle juge et évalue toute forme culturelle, l’Afrique peine, dans ce contexte, à parler de ses classiques dans l’art, la musique, et la littérature.

Parler du beau et vouloir présenter la conception européenne du beau c’est déformer la réalité. C’est en effet juste une conception.

Le  » David  » de Michelange est une vision de l’homme, ce n’est pas la seule.[page]

Les danses rituelles de l’hégémonie sont bien souvent aveuglantes dans leurs portraits de l’Europe en tant que norme selon laquelle toutes les autres doivent être jugées. Les rythmes sont toutefois décalés et imprécis.

Parler d’art classique, de musique classique ou de danse classique ne peut pas juste signifier parler d’art, de musique ou de danse occidentaux et avoir sens dans le contexte mondial.

Une forme culturelle digne d’émulation peut être considérée classique pour une période historique donnée.

Il y a toutes les raisons de parler du classicisme Akan, Yoruba ou des formes classiques d’art, de danse ou de littérature afro-américaines autant que de parler des formes européennes.

La réalité ici, pour notre compréhension, a avoir avec la tonalité assourdissante de cette affirmation blanche de pseudo-valeurs universelles alors qu’en réalité elles sont régionales, particulières bien qu’exportées sur le plan international.

Tout comme le roi Lobenguela s’interrogea au sujet de l’intérêt des missionnaires écossais à présenter leur Dieu aux Ndbele. Il dit à Moffat  » Nous avons notre propre dieu, Nkulunkulu, et vous avez le vôtre.

Pourquoi voulez-vous que nous adoptions le vôtre ? « 

Bien sûr, comme l’a dit Samuel Huntington, le monde européen n’est ni le plus intelligent ni le plus brillant mais le  » plus désireux d’utiliser la violence pour asseoir sa volonté politique « .

Le temps pour le roi Lobenguela était compté ; très vite, il eût une horde de Blancs dans son royaume professant  » l’obéissance des serviteurs à leurs maîtres « .

IV) – une célébration de  » la centralité  » et de l’action et un engagement pour la sophistication lexicale qui élimine les mots péjoratifs envers les Africains et les autres peuples…

Il existe un poème australien édité à plusieurs reprises et enseigné aux élèves du primaire qui rappelait aux Australiens blancs ceci :

 » Nous avons conquis cette terre au profit d’une race sans nerf. Bien trop retors pour combattre Si nous voulons la conserver, nous aussi nous devons faire face à l’adage qui dit que la force est juste « .[page]

C’est ainsi que les gens sont déracinés contre leur gré. Mais l’Europe ne présente pas d’excuse à ces gens et les Blancs ne se sont pas excusés aux États-Unis pour avoir volé la terre des nations indigènes.

En Afrique, ils ont tenté de s’emparer de la terre mais l’ont trouvé surpuissante et les hommes résistants sur la terre de leurs ancêtres. Néanmoins l’Europe a laissé un continent entier déporté de son centre, de ses propres réalités et parle constamment d’une Afrique ratée, d’une Afrique fatiguée, d’une Afrique infectée par le VIH, d’une Afrique malade, d’une Afrique honnie, et d’une Afrique qui peine à se relever.

Il va de soi que pour nous, l’Afrique se doit d’être convaincue de trois choses :
1. revenir au vrai sens de son identité culturelle, 2. créer des réseaux d’Africains continentaux et trans-continentaux pour coopérer à une échelle globale, et 3. enseigner aux enfants de se débarrasser des vieilles technologies et trouver les moyens d’exploiter abondamment les nouvelles formes d’information.
De cette manière nous célébrerons la centralité et l’action sans pour autant oublier nos ethnicités, nos histoires et nos valeurs de fraternité.

Tous les Africains, partout dans le monde, ont contribué remarquablement dans leurs pays, que ce soit en Occident ou en Afrique et doivent être considérés et doivent se considérer comme des acteurs fiables et responsables, sur lesquels l’on ne doit pas agir mais qui agissent.
En conséquence, nous devons partout construire des institutions à notre image et selon nos intérêts.

L’une des conséquences pour un peuple qui a perdu son dieu, c’est qu’il perd ses institutions, sa raison d’être, sa langue et l’on ne peut pas puiser sa propre force pour bâtir des institutions tant que l’on n’a pas redécouvert son centre culturel. Évidemment nous disposons de nombreuses insertions dans le flux culturel africain et ces apports doivent être reconnus, énoncés, et considérés comme faisant partie d’une nouvelle réalité africaine. Rien ne demeure identique, mais les changements qui surviennent avec le temps sont bien souvent superficiels, externes et n’en transforment pas l’essence.

‘ Le bois peut rester dix ans dans l’eau, il ne se transformera jamais en crocodile. ‘
Nous avons été condamnés pour avoir entrepris d’améliorer le vocabulaire usité, mais c’est pourtant le rôle de toute philosophie, de clarifier les enjeux, de découvrir les pièges dissimulés, et d’alerter les gens face au danger. L’on ne peut pas parler d’une Afrique Noire et d’une Afrique Blanche, l’on ne peut pas parler d’une Afrique subsaharienne, l’on ne peut pas parler de réalités à l’Ouest et à l’Est, comme s’il n’y avait pas de sud, l’on se heurterait à un Afrocentrique si l’on parle de Pygmées, d’Hottentotes, ou de Bushmen. On ne peut pas permettre à l’action africaine d’être assumée par l’Europe dans la construction de la science, de l’histoire ou de l’art.[page]

Pourquoi un Nigérian devrait-il écrire que Mungo Park découvrit le fleuve Niger ? Livingstone a-t-il réellement découvert Victoria Falls ou quelqu’un l’aurait-il amené à Musi wa Tunya et ce dernier aurait déclaré par orgueil qu’il rebaptiserait cet endroit Victoria Falls ? Nous avons un gros travail à faire mais il sera accompli au cours de ce millénaire.

V) – une forte obligation de réviser l’ensemble des écrits sur le peuple africain d’après les sources historiques…

Que nous soyons d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, nous sommes Africains. Il n’y a aucune raison de présupposer un hypothétique Atlantique Noir. L’Atlantique n’est ni noir ni blanc, il est bleu sombre. C’est un océan et un océan n’est ni un obstacle dans l’interaction humaine ni nécessairement un élément de consolidation de l’expérience humaine.

Nous demeurons Africains bien que nous devenions Jamaïquains, Africains-Anglais, Haïtiens, Africains-Américains ou Costa-Ricains.

Nous devons apprendre de chacune de nos expériences.

C’est la séparation imposée qui nous a empêché de réellement nous comprendre. Lorsque l’intellectuel haïtien Antenor Firmin écrit en 1895 dans son célèbre ouvrage  » The Equality of the Human Races « 
( L’égalité des races humaines ) il défendit tous les Noirs, des Etats-Unis, du Brésil, du Royaume-Uni, du Nigeria des assauts racistes et des commentaires biaisés.

Je suis persuadé que les éléments constitutifs de notre retour à la centralité sont enracinés dans quatre domaines généraux de recherche :

– la Cosmologie, la nature de l’être, Ontologie, Mythologie ; – l’Axiologie, la nature des valeurs éthiques ; – l’épistémologie, la nature du savoir, preuves, méthodes ; – l’Esthétique, la nature des systèmes créatifs et économiques.

Mais à quoi sommes-nous confrontés en promouvant une réelle compréhension de la manière par laquelle le savoir est construit en Occident en vue d’encourager le racisme ?

Bien souvent, nous nous confrontons à d’étranges carriéristes aigris qui écrivent comme s’ils faisaient référence à nos propres expériences alors qu’en réalité, leurs objectifs sont totalement distincts de la volonté de centralité des Africains à l’échelle humaine.[page]

De temps à autre, un livre sort et s’oppose à la sagesse de l’expérience au sein de la communauté Africaine Américaine.  » Against race  » du sociologue Paul Gilroy est un livre de ce type.

Gilroy, un chercheur anglais, qui enseigne à l’université de Yale s’est fait un nom aux États-Unis avec l’ouvrage post-moderne,  » The Black Atlantic « .
J’envisage ce livre comme une suite à la tentative de déconstruction de la notion d’identité africaine aux États-Unis et ailleurs.

Cela va, bien entendu, carrément à l’encontre des expériences vécues par les Africains Américains.

L’histoire de la discrimination à notre encontre en Occident, aux États-Unis ou au Royaume-Uni ou dans d’autre pays du monde occidental, est une histoire de violation de notre dignité parce que nous sommes Africains ou les descendants d’Africains.
Cela a très peu à voir avec le fait d’être d’une côté ou de l’autre de l’océan. De telles séparations, et ce particulièrement dans un contexte de hiérarchie raciale et de domination blanche, ne sont guère plus que l’acceptation d’une définition blanche de la négritude. Je rejette une notion qui tente d’isoler les Africains aux Amériques de leurs frères et sœurs sur le continent, et bien sûr, de favoriser l’éloignement des Africains entre eux en Angleterre.[page]

C’est une atteinte aussi grave et injurieuse que la conférence de Philadelphie en 1817 qui postulait que les Noirs aux États-Unis n’étaient pas Africains mais des « Américains de couleur  » et qu’ils ne devaient donc pas retourner en Afrique. Soutenir, comme s’y atèle Gilroy, que les Africains en Angleterre et aux États-Unis font partie de  » l’Atlantique noir  » c’est soutenir la thèse des  » Américains de couleur  » à nouveau.

Il nous a fallu cent cinquante ans pour abattre le concept de  » l’Américain de couleur  » aux États-Unis et je ne resterai pas inactif face à une notion injurieuse et acceptée de fait en cette date si tardive dans notre combat pour libérer nos esprits.

Nous sommes les victimes en Occident de systèmes de pensées, de conceptions du savoir, de façons d’être qui prennent notre Africanité comme une indication d’infériorité, une chose à surmonter.

Cette position est, pour moi, un questionnement sur l’humanité et la dignité du peuple africain.

Malgré ce qui pourrait ressembler à l’acceptation des Africains à l’échelle politique, cela est profondément raciste, car c’est l’acceptation de ce que les Blancs trouvent acceptable, à savoir, l’idée que certains Noirs ne sont plus Africains. Le moyen le plus simple et le plus rapide d’assumer cette position aux États-Unis est de dire  » tu n’as jamais rien laissé en Afrique « , ou  » tu n’es ni un Africain ni un Noir mais un Américain  » ou encore de dire  » l’Afrique ne m’a jamais rien apporté « .
On devient aussitôt accepté en tant que ‘ blanc d’honneur ‘.

Il devrait être clair que le nouveau livre de Gilroy  » Against Race  » n’est pas un livre contre le racisme ou le racialisme, comme il devrait peut-être l’être, mais un livre contre l’idée de race comme facteur organisateur des relations humaines. Cela est presque semblable à l’idée présentée il y a une dizaine d’années ou plus par la critique conservatrice, Anne Wortham, dans son ouvrage controversé  » The Other Side of Racism « . Tout comme Wortham, Gilroy soutient que les Africains Américains passent trop de temps dans des événements collectifs qui éveillent la conscience raciale et participent ainsi à des marches  » de type militaire  » exemplifiées par  » The Million Man March  » et  » The Million Woman March « , les deux étant, selon lui, inutiles.

La seule personne qui puisse faire ce genre de commentaire est celle qui n’y est pas allée.

Incapable de voir l’incroyable pouvoir de la construction collective dite  » Umoja  » dans le cadre d’une société raciste et dégénérée, Gilroy préfère rester sur la ligne de touche et jeter la pierre aux vrais joueurs dans l’arène. C’est une position réactionnaire.[page]

Donc  » Against Race  » ne peut pas être considéré comme un livre contre le racisme bien qu’il soit contre la race, mais plutôt contre l’idée d’identité culturelle noire qu’elle soit construite comme race ou comme identité nationale collective.

Soyons clair ici, Against Race n’est pas un livre contre toutes les formes d’identité collective. Aucune agression n’est faite à l’encontre de l’identité juive, en tant qu’identité religieuse ou culturelle, aucune attaque n’est formulée contre l’identité française ou chinoise en tant que réalités historiques collectives. Aucune agression n’est faite à l’encontre de l’identité culturellement construite de l’Indien- hindou, ni du Blanc anglais.
Et il ne devrait pas y en avoir.

Mais, Gilroy, comme d’autres parmi son école de pensée, considère les principaux coupables comme des Afrocentristes qui conservent un amour complexe de la culture africaine, la conscience de l’ascendance africaine et la croyance dans le Panafricanisme. Dans la construction ou le manque de construction de Gilroy, quelque chose ne tourne pas rond avec ces Africains Américains car l’Afrique demeure dans leur esprit un lieu, un continent, un symbole, la réalité de leurs origines et le point de départ de leur première traversée de l’océan alors qu’ils ne sont pas vraiment africains.

Mais Gilroy ne sait vraiment pas de quoi il parle. Et cela le conduit à de bien mauvaises conclusions au sujet de la communauté Africaine Américaine.

Le rapport que les Africains aux Amériques ont avec l’Afrique n’est pas d’ordre mythique ou mystique. Nous ne vouons pas un culte, l’air hébété, au nom du continent bien que nous soyons fortement engagés dans tous les sens du terme. En sommes-nous toujours conscients ?

Bien sûr que non ! Tous les Africains Américains qui arpentent les rues de Philadelphie, Chicago ou Los Angeles ne pensent pas à s’engager pour l’Afrique, mais ils savent presque immédiatement que lorsqu’ils sont agressés par la police, privés de capitaux d’investissement ou critiqués pour persister à maintenir l’Europe hors de leur conscience sans en avoir la permission, que l’Afrique est au cœur de leur réalité existentielle.

Nous sommes plus que jamais Africains, bien que nous soyons modernes, contemporains, en somme des Africains domiciliés en Occident.

En fait, Gilroy passe un temps incroyable à expliquer comment la race, un faux concept,  » est
comprise « .[page]

Il écrit  » La conscience de l’unité indissoluble de toute vie à l’échelle de matériel génétique conduit à un sens affirmé de la particularité de nos espèces en tant qu’ensemble, ainsi qu’aux nouvelles peurs quant au changement fondamental et irrévocable du caractère  » ( p.20 ).

J’ignore comment Gilroy peut passer de ce point de vue pour appréhender le peuple africain comme porteur de cette  » peur  » au sujet de la race, une conception qui n’a pourtant jamais été promue par le peuple africain dans ce pays ou sur le continent.

C’est essentiellement une notion anglo-germanique, fabriquée et disséminée pour promouvoir les différences entre les peuples et pour établir une hiérarchisation européenne, ainsi qu’une hiérarchisation parmi les Européens eux-mêmes. Nous n’avons que faire des hiérarchies ; notre travail pour ce millénaire est la centralisation et la réorganisation des priorités du monde africain basé sur l’acceptation ferme du rôle de l’Afrique pour assurer l’interdépendance de la destinée humaine.

Quand une nouvelle génération nous étudiera, puissent-ils voir notre génération d’Africains avec la fierté de savoir qu’il y eut ceux qui luttèrent pour la vérité et la justice alors qu’il était plus simple de se fondre dans la masse des traîtres.

Puisse cette nouvelle génération mener les mêmes combats et aller de victoire en victoire jusqu’à ce que nous éradiquions toute forme de dégradation humaine de la surface de la terre.

( Traduction par Mouna Lobè, 2007 ; Version originale de l’article: www.asante.net )

Mouna Lobè