Pour la quatrième année consécutive, l’Afrique subsaharienne affiche des performances économiques satisfaisantes.
Alors que les médias ont les yeux fixés sur la Somalie et le Darfour, il est réconfortant de constater que la croissance du continent, supérieure à 5,5 % en 2006, devrait se maintenir à un niveau comparable en 2007.
Après tant d’années perdues, l’Afrique est-elle enfin en train de réussir son décollage ?
Rien n’est moins sûr. Certes, la plupart des pays sont mieux gérés qu’il y a quinze ans. Les finances publiques sont tenues et l’inflation est presque partout sous contrôle. Contrairement à une légende tenace, l’ajustement structurel a, au moins sur ce plan, réussi et le FMI est pratiquement au chômage. Pour autant, la croissance reste insuffisante pour résorber la pauvreté, compte tenu de la croissance démographique.
Tirée par la flambée des matières premières, elle ne permet qu’une diffusion limitée de ses bénéfices. Le secteur pétrolier est plus connu pour les détournements de rentes que pour ses créations d’emplois. La principale déception vient d’une diversification insuffisante et de la stagnation de l’investissement privé dans les secteurs créateurs d’emploi, industriel et agro-exportateur.
Certes, ces secteurs sont confrontés à des handicaps : étroitesse des marchés locaux, coût des facteurs, terrorisme fiscal, médiocrité des chaînes de transport et corruption des systèmes juridiques. Il faut maintenant y ajouter le handicap spécifique dont souffrent les pays de la zone franc. L’Asie du Sud-Est montre que les pays qui ont réussi leur décollage économique ont su combiner stabilité macroéconomique et gestion intelligente de leur monnaie au service de leur compétitivité.
En comparaison, la gestion du taux de change dans la zone franc constitue un défi au bon sens. La parité du C.F.A est, in fine, définie par le seul objectif de la BCE de lutte contre l’inflation dans la zone euro !
En cinq ans, le dollar, monnaie dans laquelle sont cotés la plupart des produits d’exportation africains, et le yuan, monnaie qui détermine les prix des principaux biens de consommation importés en Afrique, se sont dépréciés d’au moins 40 % par rapport à l’euro. Dans un tel contexte, le maintien d’une parité fixe euro-CFA étrangle lentement, mais sûrement, les pays de la zone franc. On marche sur la tête.
Il n’y a pas d’avenir possible pour ces pays si le garrot d’une parité définie à Francfort en fonction de considérations qui n’ont rien à voir avec les préoccupations africaines n’est pas brisé. Un cas exemplaire nous est offert par la situation dramatique du coton africain. On en a beaucoup parlé dans les conférences internationales, à l’OMC, plus récemment au sommet France-Afrique de Cannes, et[page]
aussi avec le livre d’Erik Orsenna ( « Voyage aux pays du coton », Fayard ). Après quarante ans d’efforts, la zone franc est devenue le deuxième exportateur mondial de coton…
mais les filières qui font vivre près de 30 millions d’Africains sont toutes en faillite. Le problème ne vient pas des cours.
La filière coton africaine était en meilleure santé en 2001, quand la livre valait 42 cents, qu’aujourd’hui, malgré un prix à 57 cents. Le problème vient pour l’essentiel des évolutions monétaires. Cessons de se passer le mistigri comme à Cannes. Nous pouvons dénoncer la politique commerciale du gouvernement Bush, mais non dicter. En revanche, il y a deux mesures concrètes que la France devrait prendre en concertation avec les pays concernés pour sauver ces secteurs vitaux pour des régions qui sont, rappelons-le, parmi les principales zones d’émigration vers la France. Vu l’urgence, il faut d’abord subventionner ces filières coton africaines pour couvrir leurs pertes, ce qui coûte environ 200 millions d’euros par an.
C’est à peine plus de 2 % de cette APD, malheureusement largement virtuelle, que nous affichons glorieusement…
Et la France pourrait entraîner dans cette tâche une aide européenne. Ensuite, il faut sortir de cette mécanique absurde de la parité fixe entre le CFA et l’euro, ce qui exige un consensus et par conséquent des délais. Seules une correction de parité et la mise en place d’un mécanisme d’ajustement souple, liant par exemple le CFA à un panier de monnaies incluant l’euro, le dollar et le yuan, permettront à ce secteur de retrouver sa compétitivité. Ce qui est vrai du coton l’est d’autres secteurs productifs exportateurs ( caoutchouc, huile de palme, banane, ananas… ) ou soumis à la concurrence internationale ( industrie, production locale de riz… ).
Ces secteurs sont étranglés par une parité inadaptée qui facilite la pénétration des produits de consommation chinois et des produits agroalimentaires subventionnés européens.
Qui souhaite investir en zone franc dans un tel contexte ?
Certains milieux se font une spécialité de dénoncer les méfaits d’une France néocoloniale en Afrique. Près de cinquante ans après les indépendances, la plupart de ces dénonciations sont surréalistes. Mais il est un domaine où la responsabilité de la France est rarement citée mais gravement engagée : le refus d’ajuster le taux de change du CFA tout au long de la seconde moitié des années 1980 et le début des années 1990 a fait perdre au moins une décennie à la zone franc.[page]
Cette situation a contribué à l’effondrement de la Côte d’Ivoire. Maintenant que nous en connaissons les conséquences dramatiques, ne recommençons pas cette erreur.