Le but de cet essai sera principalement de montrer la puissante survivance des traditions égypto-nubiennes ( nous userons du vocable ‘ Kémet ‘ pour désigner l’Égypte, Terre des Noirs ) dans les sociétés africaines, particulièrement celle des Adza-tado ( Afrique de l’ouest ), et les sociétés afro-américaines, et spécialement Ayiti, au travers de l’idée de Dieu, et de celle de la vie après la mort, thème sur lequel nous nous attarderons.
I) – Sur le Vodoun ( Vodou/Voodoo etc… )
Le docteur Louis Maximilien définit le Vodoun comme » une religion constituée par des rites divers et très anciens, organiquement liés par des idées méta-physiques, encore vivants en Haïti, porteuse de traditions millénaires qui peuvent être éclairées par des textes anciens tels que ceux concernant les mystères égyptiens ou tels que les récits d’Hérodote.
De même que les égyptologues ont retrouvé le sens de certains documents, en les rapprochant des pratiques religieuses des peuples de l’Afrique et de l’Australasie, ainsi les pratiques vodouesques pourront être pénétrées, l’Afrique ayant eu une culture de style oral, en les éclairant par les textes religieux des premiers temps « .
Maximilien, comme le démontrera brillamment plus tard le professeur Cheikh Anta Diop, se veut clair :
» Pour comprendre l’Afrique il faut se tourner vers l’Égypte pharaonique, et inversement « . Il inclut dans sa définition le sud de l’Asie, l’Inde, appuyant ainsi par avance les investigations de chercheurs contemporains tel Runoko Rashidi.
Complétons cette définition du Vodou Ayitien, que certains décrivent comme un syncrétisme. Le Vodou ayitien est certes un syncrétisme si l’on entend par là que les pratiques religieuses de différents peuples d’Afrique ( Dahoméens, Yorubas, Kongos ) se sont harmonieusement fondues en un système cohérent, organisé et complexe. Mais il n’est certainement pas un syncrétisme dans le sens où il s’agit d’un mariage entre les traditions religieuses africaines et celles du catholicisme.
Les Noirs déportés aux Amériques se sont vus violemment interdire leur spiritualité, et forcés d’adopter la religion des européens. Par leur génie se traduisant par des stratagèmes efficaces, les esclaves surent cacher leurs dieux sous les représentations des saints catholiques, et camoufler leurs réunions sous prétexte de rencontres chrétiennes. Ces stratagèmes, témoins de la force de résistance d’un peuple durant plusieurs siècles, sont toujours vérifiables aujourd’hui dans plusieurs régions des Amériques, et ne trompent que ceux qui ne prennent guère la peine et le temps d’observer.[page]
Pour parfaire cette définition, Basile Kligueh, sonde l’étymologie du terme Vodoun ( Vodu/Vodou/Voodoo etc… ) dans son fond linguistique d’origine. Ce terme est composé de ‘ Vo ‘ et de ‘ Du ‘.
» Evo ( ou ‘ Vodzi ‘ ), en langage de Afà, signifie inconnu(s), inconnaissable(s) ou invisible(s). Du point de vue matériel, c’est un objet géomantique, un pion, servant à désigner une question aux infinies réponses ; réponses illimitées dont on ne connaît pas l’aboutissement à l’avance […] Edu ( lire ‘ édou ‘ ) dans toutes les langues adza-tado, signifie monde, pays, situation, peuple, ville ou agglomération, et avec une idée de voyage et de message […] Je retiens volontiers ‘ monde ‘ parce qu’il peut regrouper et remplacer valablement les autres mots « .
Kligueh traduit donc Vodoun par ‘ le monde des invisibles ‘.
II) – De l’idée de Dieu.
L’idée de Dieu chez le Nègre ( quelque soit la localisation ) est complexe et cohérente, à haute portée philosophique.
Le vodouisant Ayitien clame haut et fort que les Loas ( esprits ) ne sont pas Dieu.
Au contraire, au-dessus du Loa existe un Dieu unique, un Être Suprême que l’on prend à témoin, l’Ultime recours en toutes choses, et exerçant une autorité sur toute Sa création ( loas, nature, humains… ).
Telle est en général la conception des vodouisants en Amérique.
Le vodouisant Adza n’a pas une autre idée de Dieu. Chez les Adza-tado on le désigne sous le vocable de Mawu, qui est la contraction de ‘ Mawu Ségbo Lisa, Ataa kokodabi ‘, que le chercheur Kligueh traduit
par :
« Être suprême, Vieille ( première ) Âme aux multiples couleurs ( manifestations ou matérialisations ), Père tout puissant et vivant éternellement ».
Les Luba du Zaïre ont un texte initiatique, repris par le professeur Théophile Obenga, qui reprend ces mêmes idées :
« Au commencement, de toutes les choses ( de l’univers ), l’Esprit Aîné, Maweja Nangila, le premier, l’aîné et le grand seigneur de tous les Esprits qui apparurent par la suite, se manifesta seul et de par soi-même. Puis, et d’abord Il créa les Esprits… »[page]
À la lumière de ceci, il convient de dire que le Vodoun n’est qu’un polythéisme apparent, malgré l’existence d’un panthéon de dieux et déesses, tout comme ce fut le cas en Kémet, en témoigne l’hymne au Soleil de Akhenaton ( 1372-1354 av. notre ère ), dont voici un extrait pertinent :
« Tu es seul à resplendir sous Tes aspects de Soleil Vivant ; Que Tu apparaisses à peine ou que Tu sois au comble de l’éclat, Que Tu sois loin ou que Tu te rapproches, Tu as créé des millions de formes de Toi seul, Villes et villages, les champs, les chemins et le fleuve… Les êtres de la terre se forment sous Ta main comme Tu les as voulus. Tu resplendis, et ils vivent ; Tu te couches et ils meurent… »
Un extrait du Papyrus Bremner Rhind ( pp.69-70 ), datant du Vième siècle av. J.-C. traduit par le professeur Obenga ne nous apprend pas autre chose :
« …Ainsi parla le Seigneur de l’Univers Quand je me suis manifesté à l’existence, l’existence exista. Je vins à l’existence sous la forme de l’Existant, qui est venu à l’existence, en la Première fois. (…) Car j’étais antérieur aux Dieux Antérieurs que je fis (…) Je fis tout ce que je désirai en ce monde et je me dilatai en lui. (…) »
Notons enfin que Dieu chez les nègres, est androgyne : il est mâle et/ou femelle, sur le même pied d’égalité. Les prêtres peuvent être hommes ou femmes sans aucune distinction ou idée de hiérarchie abaissante.
III) – De la vie après la mort.
Le sens du Culte des Ghédés en Ayiti, éclaire sur l’unité culturelle existant entre les peuples de la Caraïbe, de l’Afrique à leurs ancêtres du Nil quant à l’idée de la vie après la mort. Selon Louis Maximilien, le terme Ghédé viendrait du nom d’une tribu africaine au début de la dynastie dahoméenne les ‘ ghédévis ‘.
Ce peuple, avait pour coutume d’enterrer leurs morts après avoir séparé la tête du tronc. Si le terme est africain, l’esprit habitant ce culte est beaucoup plus ancien, et vient aussi d’Afrique, car, selon le même auteur, « ils se rapprochent par leurs modalités des rites égyptiens qui consacrent les procédés d’osirification des personnages royaux et des morts.
( Dans la résurrection d’Osiris, les égyptiens voyaient le gage d’une vie éternelle au-delà de la tombe pour eux-mêmes ).
Et cet espoir égyptien est identique à celui des africains qui accomplissaient des rites tout à fait analogues ».[page]
Les rites osiriens, notamment décrits dans le Livre des Morts égyptien avaient premièrement pour but de revitaliser les rois vieillissants, à qui il leur était imposé autrefois la mort. En se faisant appliquer le rituel par lequel Osiris fut ressuscité par sa femme Isis, les rois de Kémet surent donc échapper au régicide.
Appliqué aux rois de leurs vivant, puis au peuple, après leur décès, les rituels osiriens avaient donc pour but la régénération, la garantie d’une renaissance éternelle, la résurrection après la mort.
Tel est donc le sens du culte d’Osiris, et par là le culte des Ghédés, et autres cultes mortuaires ( pour ne pas dire vitaux ) tels que pratiqués dans la grande majorité des peuples noirs.
IV) – De la terminologie.
On remarque donc que les Ghédés sont associés à la royauté. C’est la même chose en Vodou Ayitien, dans lequel on retrouve, entre autres, ce chant : « Ghédé-Nibo, yo di ou sé roi. Oh ! Ti Houahoué… »
( Ghédé-Nibo, ils disent que vous êtes roi. Etc… ) Mais, plus que les chants, la terminologie sacrée que l’on retrouve dans ce culte est directement issue de la langue Kémétique ( Mdw Ntr ).
On le démontre ici, ce qui parallèlement apportera plus de lumières sur le culte d’Osiris, autant que sur le Vodoun.
La Passion Osirienne, se jouait annuellement en Kémet. Il s’agissait de la cérémonie de la
« peau-berceau » ou « peau-linceul », pendant laquelle était porté un prêtre en position de fœtus, enveloppé de la peau d’un animal fraîchement sacrifié. La peau devait ressusciter Osiris, revitaliser les rois, et accorder vie éternelle aux morts. Celui qui passait par cette peau, par la suite substitué par un linceul, était appelé le « Tikenou ».
Plus tard, le symbole changea, on porte sur un pavois un objet identifié comme une forme du dieu Khonsou, dont la lecture véritable serait Nsout-Ken. Le mot Ken désigne la peau, le cuir, dès l’Ancien Empire. Le Nsout-Ken serait « la peau du roi », la peau dont on se sert pour le faire renaître, le revitaliser. Le Ken et le Tikenou sont similaires par le nom et le symbole. Celui qui passe par la peau est un Khensou.
Maximilien observe qu’en vodou haïtien, on retrouve : « Ghédé L’orage, Ghede Nibo, mais le chef des Ghédés s’appelle le Ghédé-Rounsou Masaka, Ghédé Hensou ou Ghédé Khensou. Ces termes sont tout à fait similaires aux termes égyptiens ».[page]
Plus loin, sur le vèvè d’Agouet-Aroyo ( les vèvès sont des dessins vodouesques sacrés tracés sur le sol avec de la farine par le Hougan ou la Mambo, prêtre et prêtresse sur le même pied d’égalité ), on retrouve le mot Imamou.
Maximilien note qu’en Kémet celui qui passe par la peau était désigné par le terme Imakou.
« Les textes spécifient que l’Imakou attendait de la faveur des dieux, entre autres choses, sur terre une vie très longue, et, après la mort, l’état de béatitude.
D’après Apulée, ces mêmes promesses rendaient bienheureux les initiés des Mystères d’Isis ( selon Frazer ). Agouet-Arroyo serait un Imakou ou serait le dieu qui rend les initiés Imakou, c’est-à-dire qui les rend bienheureux, car Agouet-Arroyo est parmi les quatre principales divinités qui entrent en ligne de compte dans la grande initiation du hougan ou de la mambo ».
Enfin, Maximilien émet une hypothèse sur la façon dont le vodouisant appelle Ogoun-Feraille sous le vocable d’Ogoun-Fer.
« On penserait naturellement et simplement que ‘ Ogoun-Fer ‘ ne serait qu’un diminutif de ‘ Feraille ‘. C’est fort possible, mais rappelons cependant qu’Osiris était appelé ‘ Unnefer ‘ qui signifiait le ‘ bon
( bel ) être ‘. »
V) – De la symbolique.
Les objets dans le culte des Ghédés, comme ailleurs dans les rituels des peuples africains, ont un sens profond et logique. D’où une symbolique féconde qui s’explique par l’Égypte pharaonique :
– La peau ou le linceul, dont nous avons vu le sens dans le culte osirien en Kémet. Elle se retrouve dans le vodou haïtien, par la représentation qui est faite des Ghédés :
« une vieille redingote à reflets roux qui rappelle une peau de bête… »
– « Les Ghédés, au cours de leurs danses, se servent d’un membre viril, sculpté dans du bois, (…), cet objet nous fait penser à l’historien Diodore de Sicile qui avait écrit : ‘ Isis retrouva toutes les parties du corps d’Osiris sauf les parties génitales… ‘.
Frazer : ‘ Mais, comme le membre génital d’Osiris avait été mangé par les poissons, Isis en fit à la place une effigie que les Égyptiens emploient encore dans leur fêtes ‘. »[page]
– Le bâton utilisé par ceux qui représentent les Ghédés au cours des danses. Le bâton peut symboliser le pénis, mais avant tout, il représente l’autorité royale qu’incarnent le Hougan et la Mambo pendant ce rituel. D’autres peuples africains conservent cette fonction symbolique du bâton, comme dans le Bwiti au Gabon.
– En plus des objets, la musique, la danse et la gestuelle dans le culte des Ghédés en Ayiti, sont directement issus de l’Afrique, donc de l’Égypte, tel que nous le fait voir le docteur Maximilien :
« Mais le Khensou vodouesque, le prêtre ou la prêtresse qui passe par la peau, ne garde plus l’attitude fœtale qui symbolise la nouvelle naissance, par contre il exécute des danses érotiques et il mime l’acte de copulation, ces deux gestes symbolisent aussi bien l’acte de génération ou de la nouvelle
naissance ».
Ajoutons que cette danse s’effectue sur un rythme particulier et particulièrement puissant de par sa structure que l’on nomme ‘ Banda ‘ en Ayiti. Les pulsations corporelles qu’engendre ce rythme de par sa facture hachurée, cassée, symbolise l’idée de force, de puissance, et s’inscrit parfaitement dans le cadre de royauté, de régénération vitale et de nouvelle naissance.
Les paroles des chants qui accompagnent ces danses font ouvertement référence à la sexualité, l’acte de copulation. Par là, les femmes et les hommes sont conviés à faire triompher la vie sur la mort, par la conception de nouveaux êtres humains, dans l’esprit de régénérer et de perpétuer le corps social.
VI) – Conclusion.
Entreprendre des recherches sur la culture, la spiritualité, la société, la politique et les traditions chez les peuples de l’Afrique noire et de la diaspora nègre seraient absolument stériles sans un retour radical vers les humanités égyptiennes. Seule la civilisation nilotique définit le nègre d’aujourd’hui en tant que communauté et en tant qu’individu.
Cheikh Anta Diop le rappelle :
« L’Égypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale ».
Il en est et sera ainsi pour tous les domaines, Kémet explique l’Afrique, et l’Afrique explique Kémet. De part ce même fait, les fondements sociaux et culturels des sociétés afro-américaines et d’origines africaines s’appréhendent au travers de cette même dialectique. Cet essai n’est qu’une pâle illustration de ce processus.[page]
Concernant les religions, nul ne peut prétendre à une connaissance parfaite et absolue de Dieu. Cependant, il est un fait historiquement prouvé que ce furent les Nègres qui les premiers élaborèrent les premières spiritualités. Ils furent les premiers à concevoir le concept de monothéisme, et les premiers à faire montre de tolérance religieuse ( en Kémet, coexistaient quatre écoles de pensées philosophiques et spirituelles ).
Et nos spiritualités actuelles sont directement issues de celles pratiquées par nos ancêtres dans le bassin nilotique.
Le Judaïsme, la Christianisme, l’Islam, ne définissent pas le noir de façon complète, car véhiculant des valeurs souvent autres que les valeurs négro-africaines. Ceux et celles qui font fi des spiritualités négro-africaines, en tant que creusets de valeurs culturelles millénaires, en tant que fondements incontournables de notre vision du monde ( ne serait-ce que par curiosité intellectuelle ) passent à côté d’une richesse indescriptible.
Se définir uniquement sur des religions qui véhiculent des valeurs différentes ( et souvent opposées ) aux nôtres dessert la renaissance africaine. En regard de tout ceci, le retour aux spiritualités négro-africaines, sera une condition incontournable dans le cadre de la renaissance africaine.
*Bibliographie :
Cheikh Anta Diop, chercheur sénégalais, « Civilisation ou Barbarie », aux éditions Présence Africaine, Paris, France, 198.
Basile Goudabla Kligueh, chercheur togolais, « Le Vodu à travers son encyclopédie, la géomancie Afà », aux éditions Afridic, France, en 200.
Louis Maximilien, chercheur ayitien, « Le Vodou Haïtien. Rite Radas-Canzo », aux imprimerie de l’État, Port-au-Prince, Ayiti, en 1945.
Théophile Obenga, chercheur congolais, « La philosophie Africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère », aux éditions l’Harmattan, France, 1996.