Melville Jean Herskovits met en garde :
« … Lorsqu’on analyse la théorie qui veut que le Noir se soit docilement laissé asservir, il faut ensuite envisager que cette tendance aurait pu se développer ultérieurement en Amérique, et cela parce que le Noir, soumis à l’autorité sévère de ses maîtres et à une vigilance de tous les instants et, en outre, obligé de se plier aux exigences d’une culture européenne, se serait résigné à son sort et se serait accommodé du peu que la vie pouvait lui apporter. Les documents dont on dispose ne donnent pas à cette hypothèse plus de poids que n’en a celle qui veut que le Noir ait accepté l’esclavage dès qu’il fut au contact de l’Européen en Afrique. Lorsqu’on voit, à la lumière des documents qui proviennent des quatre coins de l’Amérique, avec quelle détermination les esclaves s’opposèrent à l’asservissement, même lorsqu’ils n’avaient qu’une infime possibilité de la faire, on a du mal à comprendre comment cette réputation de docilité leur est venue »
( Melville Jean Herskovits, Op. Cit., PP.114-115 )
Ce refus du système des razzias négrières par l’Afrique Noire s’est manifesté par une résistance multiforme. Si, sur le sol africain, elle choisit, suivant la tactique, des raids sur les exploitations agricoles négrières, alors que sur mer, elle se manifesta régulièrement par la révolte et même le suicide, dans les Amériques et les Caraïbes, elle se poursuivit toujours par des révoltes collectives menées sans répit de génération en génération, jusqu’à ce qui a été imposé dans le vocable international comme
« l’abolition de l’esclavage ».
« Nous connaissons le souci des Européens, en Amérique, d’éviter sur une plantation le regroupement d’Africains parlant le même idiome ou originaires de communautés apparentes. Les Africains fraîchement débarqués et mis en vente sur le marché public étaient systématiquement séparés, y compris les frères et sœurs, les femmes et les maris et même les enfants des parents. Cette dispersion, expliquait-on alors, bien que douloureuse était nécessaire pour éviter les conspirations »
souligne Rosa Amelia Plumelle-Uribe.
( Rosa Amelia Plumelle-Uribe, Op. Cit., P.73. )
On ne le dira jamais assez, c’est grâce à une vigoureuse désinformation que s’est répandue la prétendue acceptation de l’esclavage par les Africains. Or, dès sa mise en place, le système des razzias se trouva en butte à la résistance en sol africain, et rencontra des révoltes multiformes en mer et en pays de déportation de la part de descendants d’Africains :
« On ignore généralement que les révoltes des Noirs éclatèrent dès le début de l’histoire de la traite. La traite commença lorsque des cargaisons furent envoyées sur Haïti en 1522, c’est-à-dire douze ans après le commencement de la traite. En ce qui concerne les possessions espagnoles d’Amérique, on note[page]
onze autres rébellions entre les années 1522 et 1553 ; celle de 1533, 1537 et 1548 éclatèrent à Saint-Domingue. Au siècle suivant, deux révoltes éclatèrent à Haïti, l’une à Port-de-Paix en 1679, et l’autre en 1691 »
( Melville Jean Herskovits : Life in a Haitian Valley, PP.59 et suiv. )
En 1650, au Brésil, dans la République de Palmares, des esclaves de la province de Pernambouc, tous nés en Afrique, gagnèrent la forêt voisine, dans laquelle ils furent aussitôt rejoints par d’autres Noirs, sitôt connue la nouvelle de leur retraite.
Ce nouveau groupe plus important, s’enfonça un peu plus dans la forêt et s’établit en un endroit nommé Palmares, dont il constitua une base logistique à partir de laquelle il fondait en raids sur les plantations, pour se procurer des femmes.
Cette résistance donna naissance à d’autres villages, au fur et à mesure que le flot des rebelles grossissait, et aboutit rapidement à la formation d’une société structurée. La résistance de la ville de Palmares atteignit son apogée en alignant un effectif de 10 000 combattants déterminés, sur 25 000[page]
âmes, les habitants de l’arrière-pays inclus, pour représenter une menace pour la société blanche. Pour vider cet « abcès », les Portugais levèrent, en 1696, une armée de près de 7 000 hommes avec pour mission d’attaquer.
Palmares était certes entouré d’une palissade, mais avait la faiblesse de manquer d’artillerie, pièce maîtresse qui eût été nécessaire à sa défense. Cela lui fut fatal. Pris par les Portugais, la plupart de ses guerriers se suicidèrent, les captifs prisonniers furent exécutés, en raison du danger qu’ils représentaient pour la société esclavagiste.
En Guyane Hollandaise, les révoltes d’esclaves débutèrent au milieu du XVIIème siècle, selon la même tactique qu’au Brésil ; à savoir, la plongée dans la jungle avoisinante. Ces résistants, appelés « Noirs de la Brousse », établirent leurs villages bien à l’intérieur de la jungle, d’où ils investissaient périodiquement les plantations de la côte, pour piller les biens des Négriers.
La particularité de cette résistance en Guyane Hollandaise, fut qu’elle ne comporta essentiellement que les Nègres « eau de mer », c’est-à-dire, les Noirs nés en Afrique. Elle manifesta toujours de la méfiance vis-à-vis des Créoles, parce que nés dans les colonies, et jugés à ce titre, moins radicalement résolus à conquérir leur liberté.[page]
Les Africains d’origine craignaient que les Noirs nés en déportation, n’altèrent la coutume et la tradition africaine de la lutte contre l’esclavage.
Les dégâts que cette résistance causa au système esclavagiste, eurent des répercutions telles qu’au moment de la Révolution américaine, les négriers Hollandais en vinrent à se lier les services de nombreux mercenaires qui ne furent cependant pas plus efficaces pour en venir à bout. La résistance les tint si bien en échec que très peu d’assaillants survécurent.
Cette débâcle contraignit le gouvernement hollandais à conclure, en 1825, avec les « Noirs de la Brousse », un traité de paix, aux termes duquel, ces derniers s’engageaient à cesser tout pillage sur la région côtière, et à renvoyer à leurs maîtres les esclaves fuyards qui rejoignaient la résistance.
En contrepartie, la Hollande leur garantit le respect à perpétuité de leur indépendance. Particulièrement jaloux de leur liberté, ces descendants d’Africains, maintinrent des traditions qui, pour eux, remontaient à l’Afrique ; principalement, le refus de l’asservissement.
A cet égard, ils observèrent une vigilance de tous les instants, convaincus que les Blancs restaient aux aguets, attendant le moment propice pour les remettre dans les chaînes.
C’est pourquoi, lorsqu’en 1930, le gouvernement néerlandais projeta d’instituer un permis de port d’arme pour la possession d’un fusil, les dirigeants et les chefs Noirs, entrèrent en rébellion, en renvoyant leurs uniformes et leurs insignes hollandais à Paramaribo la capitale de la colonie.
( Voir ‘ Stedman : Narrative of five year’s expedition against the Revoltes Negroes of Surinam, passim. ‘ ; Melville Jean Herskovits, Op. Cit. P.118. )
Dans les Iles Vierges, les planteurs Blancs vécurent longtemps dans la crainte de révoltes d’esclaves.
Celles-ci étaient légion dans les Iles Caraïbes.
On s’y souvient encore aujourd’hui de l’insurrection qui éclata en 1733, dans l’Ile de St John et qui, malgré la fuite des planteurs, fit de nombreuses victimes parmi les Blancs, et faillit se solder par la mort du Gouverneur de l’Ile.
En dépit des assauts répétés des Européens, dont celle de quatre cents soldats français stationnés à la Martinique et accourus en renfort, les mutins bien qu’isolés dans la partie nord-est de l’Ile, tinrent en échec pendant six mois, ces renforts, qui leur étaient pourtant supérieurs, tant en armes qu’en nombre.[page]
Finalement vaincus, la résistance, trois cents rebelles et leurs sept chefs, se donnèrent la mort, les premiers en se jetant dans un précipice, les sept chefs en mettant collectivement fin à leurs jours.
Ce repli de la résistance n’empêcha cependant pas qu’éclate en 1759, dans la même région, dans l’Ile de Saint-Croix, une autre révolte qui contraignit son Gouverneur à décréter l’abolition immédiate de l’esclavage, le 3 Juillet 1848.
( ‘ L.A. Pendleton : Our New Possessions, the Danish West Indies, Journal of Negro History ‘ P.277 et s., in Melville Jean Herskovits, Op. Cit., P.118 ).
Un rapport adressé en 1685 au Ministre français des colonies, sur Haïti, était déjà très alarmiste :
« Les Nègres représentent un formidable ennemi à l’intérieur de notre territoire ».
Ce malaise et cette crainte chez les Blancs persistera un siècle plus tard ; un officier planteur écrira :
« Une colonie d’esclaves est une ville qui vit sous la menace d’un assaut ; on y marche sur des tonneaux de poudre. »