Cette petite stèle que je vous propose d’étudier ensemble, est intéressante à plus d’un titre pour tout passionné d’histoire africaine. En effet, il s’agit d’une petite stèle gravée dans du calcaire, qui remonte à la XIXème dynastie thébaine. Bien que le sculpteur soit resté anonyme, nous savons néanmoins qu’il s’agit ici d’une représentation du roi Ramsès II, à l’époque où il était encore un enfant. Datée du Nouvel Empire, cette stèle est visible au musée du Louvre [1].
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I) – Description de la stèle…
Ramsès II est représenté assis, un doigt a porté de la bouche pour bien montrer qu’il est à l’état de l’enfance. Il arbore une imposante tresse qui retombe sur le côté droit de son visage. Vu la taille et les détails de cette tresse, il semble bien qu’après lui avoir rasé une partie du crâne et lui avoir fait de nombreuses petites tresses, sa coiffeuse ait tout simplement regroupé les mèches tressées en une seule. [2]
Prince – Namibie.[page]
Ce choix n’est pas dû au hasard, puisqu’il s’agit de la coiffure caractéristique des enfants royaux
( princes ) que l’on retrouve dans de nombreuses civilisations africaines, pour indiquer leur aspect divin. A son extrémité, la mèche unique forme une courbure harmonieuse et est maintenue par deux pinces à cheveux. Enfin, une très belle boucle d’oreille volumineuse se laisse deviner juste derrière la mèche tressée.
Sur la tête, Ramsès II porte ici un bandeau appelé « Seshed » qui sert aussi à tenir sa tresse. A l’origine, ce bandeau était fait d’un simple ruban tressé mais avec le talent des artistes Kamits, il devint par la suite un formidable diadème en métaux précieux se terminant par deux pans à l’arrière et arborant un uræus protecteur sur le haut du front.
Enfin, assis sur un coussin, muni de bracelets d’or aux poignets et visiblement torse nu, notre petit prince africain porte ici un magnifique pagne plissé en lin, montant dans le dos et soutenant le bas du ventre à l’avant ( ce vêtement nous rappelle d’ailleurs beaucoup celui d’Akhenaton ).
Lucien le Navigateur, un écrivain grec né en Syrie ( 125-190 ap J.-C. ), nous a légué des informations importantes sur la coiffure des enfants de haut rang en Egypte. Dans un de ses textes, il confirme que les enfants princiers égyptiens portaient une tresse durant toute la période de l’enfance et celle-ci disparaissait à l’âge adulte.[page]
Il ajoute que c’était le contraire en Grèce où c’étaient les vieux qui arboraient une coiffure tressée pour protéger leurs cheveux et certaines fois ils rajoutaient même une broche en or pour les maintenir en place.
Enfin, Lucien le Navigateur, qui a été aussi avocat à Antioche avant de s’installer en 164 à Athènes, nous confirme l’ascendance africaine des Egyptiens anciens en décrivant un enfant égyptien en ces termes :
« Ce garçon n’est pas seulement noir… » [3].
Ramses II Adulte.[page]
II) – Traduction du texte hiéroglyphique…
Après avoir décrit la stèle, prenons maintenant le temps de la traduire ensemble [4].
La première phrase a été écrite verticalement en haut à droite de la stèle. Le sens de la lecture est de haut en bas et de droite à gauche ( il faut aller à la rencontre des animaux pour deviner le sens de la lecture souhaitée par le scribe ).
A – 1ère ligne : ‘ nsw bit ‘
Pour symboliser leur royauté de Haute Egypte et de Basse Egypte, les scribes Kamits avaient l’habitude de recourir aux symboles de ces deux régions dans leurs écrits. Ainsi, le jonc représente le sud ( Haute Egypte ) et l’abeille représente le nord ( Basse Egypte ).
‘ Nsw Bit ‘
Le jonc se lit » Nesou » et l’abeille » Bity « , donc » Nesou Bity » ( nsw bit ) se traduit par ‘ Le Souverain de la Haute et de la Basse Egypte ‘.[page]
B – 2ème ligne : ‘ nb t3wy ‘
‘ Nb Tawy ‘
La corbeille qui indique ici qu’il s’agit du roi ( roi, seigneur, maître ) se lit » Neb » ( nb ).
‘ Nb ‘
Le terme féminin, soit » Nebet » pour la » Reine » s’écrit avec le rajout de la petite galette de pain pour mentionner le » T « .
‘ Nb.T ‘
Les deux traits ( en dessous de la corbeille ) et les 3 grains de sable juste en dessous de chacun d’eux, symbolise les 2 terres soit la Haute et la Basse Egypte.
‘ Ta, To ‘
La terre qui est un mot masculin en langue kamitique se dit » To » ou » Ta « . Compte tenu du fait que pour les Kamits le pluriel commence à partir de 3, les 2 bandes de terres dans la graphie représente un duel, d’où la forme en » wy « . Pour le pluriel, soit 3 terres, nous aurions lu » Taou » ( t3w ), soit les terres.[page]
‘ Nb Tawy ‘
La traduction de cette ligne est donc » Neb Tawy « , soit » Le Maître des deux terres « .
C – 3ème ligne : le cartouche ‘ wsr mc3.t rc, stp n rc ‘
Cartouche.
Le cartouche est cette forme ovale dans laquelle on inscrivait les noms de naissance et de couronnement du roi. A l’origine il s’agissait du signe » Shenou « , symbolisant l’éternité et la protection qui fut étiré pour y inscrire les noms du roi.
Dans ce cartouche, nous lisons donc le nom du Ramsès II, personnage central de cette stèle.
Le premier signe en haut, le disque solaire, symbolise le dieu suprême appelé à l’époque » Rê » ou » Râ « . Il se lit en dernier bien qu’il soit écrit en premier ( c’est l’antéposition honorifique ).[page]
‘ Wsr ‘
Le premier signe à lire est donc la graphie » Ouser » ( Wsr ), développée ici. Le bâton à tête de chacal représente à lui seul le terme » Ouser » mais ici, nous avons volontairement choisit de vous léguer la graphie entière avec le » S » ( signe du milieu ) et le » R » ( dernier signe à droite ). Il symbolise la puissance.
‘ Maat ‘
Le deuxième signe symbolise la » Maat » ( la fille de Rê ), la » Vérité/Justice divine » qui fut assimilée par la chrétienté à l’Esprit Saint.
La lecture de la première partie du cartouche est donc » Wsr Mc3.t rc » soit » Ouser Maat Rê » pour » Puissante est la Vérité/Justice de Dieu « .
Cartouche.
( Suite de la lecture du cartouche. )
Le disque solaire, comme on l’a vu se lit en dernier. Le terme » STP » se traduit par le verbe » Choisir, Elir « . Ici la graphie est plus complète donc on retrouve le » S » à gauche, le » T » en haut, le » P » le petit carré du bas et le déterminatif qui symbolise à lui seul le verbe choisir à droite.[page]
‘ N ‘
Le filet d’eau » N » est un pronom qui se traduit par » de, pour » et s’utilise que pour les personnes ou les divinités.
Cartouche.
La traduction finale est donc : » Setep N Rê » ( stp n rc ) soit » L’élu de Dieu « , » Celui qui a été choisi par Dieu « .
D – 4ème ligne : ‘ di ankh ‘.
‘ Di Ankh ‘
Le signe triangulaire se traduit par » DI » pour » Doué de » et vous l’avez reconnu, le dernier signe est la croix de vie Ankh.
La traduction est donc » Di Ankh « , soit » Doué de vie « .[page]
– La traduction globale du premier paragraphe est donc :
‘ Le roi de la Haute et de la Basse Egypte,
Le Maitre des 2 terres
Ouser Maat Rê
Setep N Rê
Doué de vie. ‘
III) – Lecture du deuxième paragraphe…
E – 1ère ligne : ‘ mi rc ‘
( Il s’agit de la suite du texte précédent. )[page]
‘ Mi ‘
Le roseau fleuri ( à droite ) joue le rôle de complément phonétique et se traduit par » I « . Le premier signe ( à gauche ) se suffit à lui seul et se translitère par » Mi « , et se traduit par » comme, identique à « .
Ici encore, le disque solaire et la divinité sont en antéposition honorifique, donc ils se lisent après.
‘ Rê Mi ‘ ( lire Mi Rê )
La tradcution de cette ligne est donc » MI RÊ « , » Comme Dieu « , » Comme Rê » ( Ramsès Ii est donc doué de vie comme Dieu ).
F – 2ème ligne : ‘ dd.t ‘
‘ DD.T ‘
Ce signe » DD.T » ( Djed det ) signifie » Pour toujours « .
G – 3ème ligne : ‘ nhh ‘
‘ Nhh ‘
Ce signe » Nhh » ( néhéhé ), signifie » A jamais, éternellement « .[page]
La traduction finale du deuxième paragraphe est donc :
‘ Comme Dieu,
Pour toujours
éternellement. ‘
J’espère que vous avez apprécié ce moment de culture et de traduction hiéroglyphique. Si vous souhaitez approfondir vos connaissances, je vous recommande de vous rendre sur la rubrique
‘ événements ‘ du site, pour les prochains cours et conférences de l’institut AfricaMaat.
Vie, santé, force !
Références bibliographiques :
[1] Aile Sully, 1er étage, section 27, vitrine 7.
[2] Photo tirée du livre « Hair in African Art and Culture » édité par Roy Sieber et Franck Herreman ; Museum of African Art, New York.
[3] Cf. Lucien le Navigateur, Navigations, Paragraphes 2 à 3.
[4] Il convient de rappeler qu’un travail de vocalisation de l’égyptien ancien reposant sur les langues africaines ( copte, wolof, etc… ) doit être réalisé par les égyptologues africains pour sortir du modèle artificiel de vocalisation construit par l’égyptologie occidentale.