En 1984, le professeur Cheikh Anta Diop s’adressait aux jeunes du Niger et répondait avec engouement à leurs questions.
Sa réponse fut cinglante ! Pour lui, la jeunesse panafricaine doit absolument s’armer de connaissance et être en mesure d’étudier son passé de manière minutieuse et objective en se réservant la priorité de son jugement et surtout en se passant de toute tutelle intellectuelle étrangère.
( représentation d’une princesse non identifiée, trouvé à Amarna ).[page]
Nous vous proposons donc sa réponse suivie de notre analyse.
» Je crois que le mal que l’occupant nous a fait n’est pas encore guéri, voilà le fond du problème. L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme et quand on croit s’en être débarrassé on ne l’a pas encore fait complètement.
Souvent le colonisé ressemble un peu, ou l’ex-colonisé lui-même, à cet esclave du XIXème siècle qui libéré, va jusqu ’au pas de la porte et puis revient à la maison, parce qu’il ne sait plus où aller. Il ne sait plus où aller…
Depuis le temps qu’il a perdu la liberté, depuis le temps qu’il a apprit des réflexes de subordinations, depuis le temps qu’il a apprit à penser à travers son maître (…)
Toutes les questions que vous m’avez posé reviennent à une seule. Quant est ce que les blancs vous reconnaîtront-ils ?
Parce que la vérité sonne blanche.
Mais c’est dangereux ce que vous dites parce que si réellement l’égalité intellectuelle est tangible, l’Afrique ( et la diaspora africaine ) devrait sur des thèmes controversés ( tels que l’origine africaine de la première civilisation humaine ), être capable d’accéder à sa vérité par sa propre investigation intellectuelle et se maintenir à cette vérité, jusqu’à ce que l’humanité sache que l’Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce qu’ils auront rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité.[page]
Mais vous êtes persuadé que pour qu’une vérité soit valable et objective, il faut qu’elle sonne blanche. Mais ça, c’est un repli de nôtre âme qu’il faut faire disparaître (…) Moi, si je n’étais pas intiment persuadé de la capacité de chaque race à mener sa destinée intellectuelle et culturelle, mais je serai déçu, que ferions nous dans le monde.
S’il y avait réellement cette hiérarchisation intellectuelle, il faudrait nous attendre à notre disparition d’une manière ou d’une autre. Parce que le conflit, il est partout jusque dans nos relations internationales les plus feutrées.
Nous menons et on mène contre nous le combat le plus violent, plus violent même que celui qui a conduit à la disparition de certaines espèces.
Il faut justement que votre sagacité intellectuelle aille jusque là (…) Il n’y a qu’un seul salut, c’est la connaissance directe et aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort (…)
Seti Ier ( Louvre, Paris ).
A formation égale, la vérité triomphe…[page]
Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel.
Ou alors traînez-moi dans la boue, si quand vous arrivez à cette connaissance directe vous découvrez que mes arguments sont inconsistants, c’est cela, mais il n’y a pas d’autre voie « .
A ce titre, Il est intéressant de noter qu’Emmanuel Kant dans son ouvrage ‘ La philosophie de l’histoire ‘ avait déjà analysé le phénomène de la soumission et de l’immobilisme d’un esprit aliéné culturellement et son acceptation de la détermination de son niveau de savoir par un esprit dominant.[page]
» La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps d’une direction étrangère (…) restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs et qu’il soit si facile à d’autres de se poser en tuteurs des premiers.
Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre, qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tienne lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc… Je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même, je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Que la grande majorité des hommes ( y compris le sexe faible tout entier ) tienne aussi pour très dangereux ce pas en avant vers la majorité, montre que c’est une chose pénible, c’est à quoi s’emploient fort bien les tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d’exercer une haute direction sur l’humanité.
Après avoir bien rendu sot leur bétail et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures n’aient pas la permission d’oser faire le moindre pas hors du parc où elles sont enfermées, ils leur montrent le danger qui les menaces, si elles essaient de s’aventurer seules au dehors.
Or ce danger n’est pas vraiment si grand, car elles apprendraient bien, après quelques chutes à marcher (…) Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui nature.[page]
Il s’y est si bien complu ; et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé faire l’essai (…) Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés, par le propre travail de leur esprit, à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré « .
Pour mieux nous faire prendre conscience de certains phénomènes, le psychologue martiniquais Frantz Fanon dans « Peau noire et masque blanc », nous assène une vérité sur les effets de l’aliénation culturelle.
Frantz Fanon.
« Il y a une constellation de données, une série de propositions qui, lentement, sournoisement, à la faveur des écrits, des journaux, de l’éducation, des livres scolaires, des affiches, du cinéma, de la radio, pénètrent un individu en constituant la vision du monde de la collectivité à laquelle il appartient.
Aux Antilles, cette vision du monde est blanche parce qu’aucune expression noire existe (…) Un européen, par exemple, au courant des manifestations poétiques noires actuelles, serait étonné d’apprendre que jusqu’en 1940 aucun antillais n’était capable de se penser nègre.
C’est seulement avec l’apparition d’Aimé Césaire qu’on a pu voir naître une revendication, une assomption de la négritude (…) Quand les nègres abordent le monde blanc, il y a une certaine action sensibilisante.[page]
Si la structure psychique se révèle fragile, on assiste à un écroulement du Moi. Le noir cesse de se comporter en individu actionnel. Le but de son action sera autrui ( sous la forme du blanc ), car autrui seul peut le valoriser ».
Et il faut que le » Moi nègre » soit très solide pour résister à la pression :
« Nous conseillons l’expérience suivante à ceux qui ne seraient pas convaincus, assister à la projection d’un film de Tarzan aux Antilles et en Europe. Aux Antilles, le jeune noir s’identifie à de facto à Tarzan contre les nègres.
Dans une salle d’Europe, la chose est beaucoup plus difficile, car l’assistance, qui est blanche, l’apparente automatiquement aux sauvages de l’écran.
Cette expérience est décisive. Le nègre sent que l’on est pas noir impunément.
Un documentaire sur l’Afrique, projeté dans une ville française et à Fort de France, provoque des réactions analogues. Mieux, nous affirmons que les Bochimans et les Zoulous déclenchent davantage l’hilarité des jeunes antillais. Il serait intéressant de montrer que dans ce cas cette exagération réactionnelle laisse deviner un soupçon de reconnaissance.[page]
En France, le noir qui voit ce documentaire est littéralement pétrifié. Là, il n’y a plus de fuite, il est à la fois Antillais, Bochimans, et Zoulou ».
Tant que nous ne maîtriserons pas les données relatives à notre patrimoine historique, culturel et économique, nous demeurerons des marionnettes dociles et inconscientes.
( Amenhotep III fils de Thoutmose IV. )