Zimbabwe : manœuvres impérialistes et rivalités politiques.

Jamais une élection africaine n’avait suscité une telle levée de boucliers chez les leaders impérialistes que celle qui s’est déroulée au Zimbabwe, le 27 juin. Du Conseil de sécurité de l’ONU au G8, en passant par l’Union européenne, tout le monde a dénoncé la « farce électorale » et menacé le pays d’une aggravation des sanctions qu’il subit déjà, voire d’une intervention militaire comme l’a fait le ministre des Affaires étrangères britannique, lord Malloch-Brown.

Sans doute ce deuxième tour des présidentielles, où le dictateur Robert Mugabe était seul candidat, était-il une farce, d’autant plus que son rival, Morgan Tsvangirai, leader du M.D.C. ( Mouvement pour le Changement Démocratique ), avait dû se retirer cinq jours avant, prenant de court ses propres partisans.
Mais depuis quand l’impérialisme se préoccupe-t-il de démocratie en Afrique, lui qui entretient les meilleures relations avec nombre de potentats locaux, qu’il arme contre leurs populations pour protéger les intérêts des trusts occidentaux, des potentats qui ne se soucient même pas, bien souvent, de maintenir la moindre apparence démocratique ?

Si Mugabe est tombé dans la ligne de mire des puissances occidentales, ce n’est pas parce qu’il est un dictateur pire que bien d’autres.

D’ailleurs, jusqu’à la fin des années 1990, « sir » Robert Mugabe était un homme très « honorable » Il a été fait par la reine d’Angleterre  » Chevalier d’honneur « . Preuve donc que lorsque l’on est un  » bon nègre  » qui défend les intérêts occidentaux contre les intérêts africains, ont reçoit de belles décorations. Depuis la reine a officiellement retiré cette nomination à la noix !

Seulement, en 1997, suite à une puissante vague de grèves, Mugabe mit fin aux privatisations et rétablit les subventions d’État, défiant les diktats du FMI. Les prêts internationaux furent brutalement réduits. Pris à la gorge, des paysans pauvres se mirent à occuper certaines des riches fermes européennes qui continuaient à exploiter les terres les plus fertiles depuis l’indépendance, en 1980.
En 2000, tentant de rétablir un prestige fortement érodé, Mugabe transforma ces occupations en politique officielle. Mais pour les leaders impérialistes, c’était franchir le Rubicon : la sacro-sainte propriété capitaliste avait été violée et Mugabe devrait payer pour cela.

Deux ans plus tard, Bush ajouta le Zimbabwe à sa liste d’États « voyous » et l’ère des sanctions économiques commença, gelant une partie des avoirs du pays dans les banques occidentales et tarissant ses sources de devises. C’est cela, bien plus que le parasitisme du régime ( qui n’était pas nouveau ), qui entraîna la catastrophe économique qui suivit. L’inflation atteignit en février de cette année un taux annuel astronomique de 100 580 %.[page]

La monnaie locale perdit toute valeur. Ceux qui n’avaient rien à troquer contre de la nourriture furent condamnés à la charité ou la famine. 30 à 40 % des 12,3 millions d’habitants du pays fuirent la faim dans les pays voisins. Et dans un pays qui avait été relativement riche par rapport à bien d’autres, l’espérance de vie tomba à 35 ans, la plus basse en Afrique.

Les prétentions « démocratiques » des leaders occidentaux, qui sont responsables de cette catastrophe, cachent des intérêts économiques bien définis. Car, outre les banques comme Barclays et Standard Chartered qui continuent à opérer au Zimbabwe, ou les groupes agroalimentaires qui exportent chaque jour vers l’Europe des produits frais dont la population aurait tant besoin, de puissants groupes miniers ont des intérêts au Zimbabwe, et surtout des ambitions.

Car le Great Dyke, une crête montagneuse qui traverse le centre du pays, contient des réserves de platine considérables, peut-être supérieures à celles de l’Afrique du Sud, premier producteur de ce métal. À un moment où le platine atteint un prix astronomique sur le marché mondial, aussi bien Anglo-American et Implats, qui sont déjà présents dans le pays, que Rio Tinto et BHP-Billiton qui ne le sont pas encore, ont l’œil rivé sur ce pactole.

Mugabe n’a jamais été réticent à traiter avec ces groupes. Mais il leur faut des garanties, en particulier que leurs biens seront à l’abri de la démagogie populiste de Mugabe. Dans cette affaire, le MDC est le cheval de Troie du capital occidental.

Formé par des syndicalistes après les grèves de 1996-97, il a toujours été allié aux fermiers européens et ses liens avec le capital anglais et américain sont notoires, même si son principal soutien est le prolétariat urbain de Harare et Bulawayo. Son leader, Tsvangirai, ancien dirigeant des syndicats du pays, était lui-même un dignitaire chevronné de la dictature, qui finit par tenter sa chance à la tête des mécontents.

Ayant poussé ses partisans à s’affronter avec le régime, en promettant d’aller jusqu’au bout de sa joute avec Mugabe, Tsvangirai s’est finalement dérobé, laissant ses supporters face à une police triomphante. Depuis, de son refuge à l’ambassade des Pays-Bas, il multiplie les appels à la négociation avec le régime sous l’égide de l’O.N.U.

Le président de l’Union Sud-Africaine, Thabo Mbeki, s’est déjà prononcé pour une « solution » qui verrait Mugabé associer au pouvoir Tsvangirai, c’est-à-dire pour un partage du pouvoir avec Mugabe, sous l’égide des grandes puissances, ce qui permettrait à l’impérialisme de faire rentrer Mugabe dans le rang.[page]

Dans cette affaire, tous les camps, de Mugabe au MDC et aux puissances impérialistes, se seront servis de la population pauvre comme de chair à canon. Quant à ces leaders impérialistes qui se gargarisent avec le mot « démocratie » quand cela sert leurs intérêts, ils ont, plus que tous autres, le sang du prolétariat zimbabwéen sur les mains.

François Rouleau