Une intervention intéressante du Président de la Côte d’Ivoire à propos de l’avenir de l’Afrique dans ‘ Le Courrier D’Abidjan ‘
» Ma vision pour l’Afrique » c’est une interview du président Laurent Gbagbo qui est presque passée inaperçue dans la sphère francophone.
Et pour cause, elle a été publiée début avril dans un ( très pertinent ) mensuel panafricain basé à Londres, ‘ New African ‘.
Pourtant, le numéro un ivoirien a dit des choses intéressantes face au dictaphone de la journaliste Ruth Tete. S’il a martelé ses positions à propos des origines de la crise « un coup d’Etat qui a échoué et non un problème identitaire de fond », à propos des concepteurs de Marcoussis, dont l’objectif était de
« dépouiller Gbagbo de tous les pouvoirs nécessaires pour gouverner effectivement », à propos de son plan de sortie de crise ( qui n’était pas encore bouclé au moment de l’entretien ), il a aussi évoqué des questions de fond liées au destin de l’Afrique et à ses relations avec le monde extérieur.
En résumé, il explique que la crise ivoirienne lui a révélé un continent qui doute de lui-même et a peur d’avancer sur la route de la liberté ; mais qui est en pleine mutation et pourrait même devenir un recours pour un monde déchiré par diverses confrontations.[page]
Abandonner les accords de défense avec la France pour créer des formules de sécurité collective africaine Interrogé par Ruth Tete à propos de la France, dont certains disent qu’elle est le problème en Côte d’Ivoire et non la solution, Gbagbo répond diplomatiquement mais clairement :
« Nous sommes une ancienne colonie française. A l’aube des indépendances, la France a signé des accords de défense avec ses anciennes colonies, mais aussi des accords de coopération militaire. J’étais dans la droite ligne de ces accords quand j’ai demandé à Paris, en tant que chef d’Etat ivoirien, de nous aider à repousser les rebelles en 2002.
Mais la France n’a jamais accepté notre requête. l’année dernière, comme nous l’avons vu au Tchad et en République centrafricaine, la France a accepté d’intervenir en faveur de certains gouvernements dans la ligne de ces mêmes accords de défense et de coopération militaire. A vous de juger. Cela ne nécessite aucun commentaire. »
Mais Gbagbo ne s’arrête pas à la dénonciation de ce « deux poids deux mesures ». Le chemin initiatique qu’a été la crise ivoirienne lui a visiblement permis de faire des constats et d’imaginer des solutions.
« Je pense que les Africains ont trop peur d’être libres. Ils ont la capacité d’être libres mais ils ignorent leur potentiel. Chaque pays africain francophone, par exemple, a des accords de défense avec la métropole ( France ), alors que nous pouvons signer les mêmes accords entre nous-mêmes, nous pouvons mettre en place des mécanismes de résolution de conflit nous-mêmes. ( … ) La crise ivoirienne m’a révélé que les Africains se sous-estiment et n’ont pas confiance en eux. Le temps est venu pour les Africains d’avoir confiance en eux, de prendre leur destinée en main. Le temps est venu pour l’Afrique d’avoir des partenaires et non des maîtres. Et cela est possible ! »
Comment l’Afrique peut se développer par elle-même Comment l’Afrique peut-elle sortir du piège qui fait d’elle uniquement une pourvoyeuse de matières premières pour les autres ?
Gbagbo évoque des pistes de solution fondées sur la solidarité continentale.
« La Côte d’Ivoire est, par exemple, le premier producteur de cacao, mais nous contrôlons pas le marché du cacao. Ce n’est pas normal. Si l’Afrique introduisait une taxe sur la production de pétrole et de gaz pour créer un fonds de solidarité, nous pouvons réaliser beaucoup de grands projets. Mais les Africains préfèrent aller chercher de l’argent à la Banque mondiale et au FMI. Sur chaque baril de pétrole, nous pouvons mettre de côté 5 ou 10 dollars.
Sur chaque tonne de cacao, café, sur le diamant, l’or, nous pouvons déduire des taxes pour créer une banque dédiée au développement de l’Afrique.[page]
Nous ne l’avons pas encore fait parce que nous n’avons pas confiance en nous, alors que dans les grandes institutions de financement dans le monde, ce sont les jeunes Africains qui sont à des postes de responsabilités. Ils sont bons pour gérer les fonds des autres mais quand vous leur demandez de mettre sur pied et de gérer un tel fonds pour les Africains, pour nous-mêmes, ils ne seront pas assez en confiance pour le faire. C’est la raison pour laquelle j’appelle les Africains à se réveiller. »
Le réveil de l’Afrique ? Dans dix ou quinze ans Malgré ces constats, Gbagbo est visiblement assez optimiste pour le continent. Un continent qu’il voit en transition.
« Nous, Africains, souffrons aujourd’hui parce que nous sommes à la croisée des chemins. La première génération de leaders africains est sur la route de sortie. Ce sont les pères fondateurs des indépendances et leurs successeurs immédiats. Mais la nouvelle génération de leaders n’est pas encore totalement arrivée au pouvoir, et donc nous sommes à un carrefour. Cela explique pourquoi nous avons souvent des frictions entre nous. Mais donnez à l’Afrique dix ou quinze ans, et vous verrez qu’avec le temps, l’Afrique parle d’une seule voix harmonieuse. »
Gbagbo imagine même l’Afrique, dans un futur plus ou moins proche, dans un rôle de stabilisatrice d’un monde fragmenté par des conflits de tout genre.
« Quand je regarde devant, je vois des dangereuses confrontations entre les Etats-Unis et la Chine. Pour le moment, il s’agit de problèmes commerciaux et j’espère que ces antagonismes resteront commerciaux. Mais j’ai peur que demain ils se transforment en quelque chose d’autre. Je crois que les Africains pourraient jouer un rôle stabilisateur dans le monde au lieu d’être relégués dans un rôle de colonies. Les Africains ne sont pas suffisamment conscients de l’importance de leur rôle dans le monde. »
Certains observateurs affirment que, s’il est réélu, le président Gbagbo se donnera les moyens d’avoir une voix diplomatique forte, dans la droite ligne de la renaissance africaine.
Est-il déjà en train de préparer cette inflexion, après être passé par le feu d’une guerre qui a duré près de cinq ans ? Le débat est ouvert.