Que la Suisse des années 1980, ses grandes entreprises d’armement, ses banques et certains de ses dirigeants aient entretenu des liens étroits avec le régime raciste sud-africain n’est pas chose nouvelle. Mais pour la première fois, un rapport émanant du Fonds national suisse de recherche scientifique ( F.N.S, le C.N.R.S helvétique ) permet d’entrevoir l’ampleur de cette collaboration, en particulier dans le domaine de l’armement et du nucléaire.
Commandé en 2000 par le gouvernement suisse, dirigé par l’historien Georg Kreis, ce programme national de recherche baptisé » PNR42+ » dont les conclusions ont été rendues publiques jeudi 27 octobre a mobilisé quarante chercheurs, avec des moyens que beaucoup estiment insuffisants. Dans un premier temps, les historiens obtenaient un libre accès aux archives fédérales, y compris celles classifiées de moins de trente ans.
Mais en 2003, les autorités helvétiques ont décidé de mettre sous embargo certains documents. Une manière de protéger les entreprises et banques suisses qui étaient alors l’objet de plaintes collectives déposées aux Etats-Unis par les victimes de l’apartheid. Malgré ce sérieux coup de frein, les résultats obtenus par l’équipe du PNR42 + sont troublants, dessinant le tableau d’une Suisse sans états d’âme qui » par ses exportations de capitaux et l’acquisition d’or sud-africain a soutenu en termes d’efficacité économique le régime de l’apartheid « , estime Georg Kreis.
Collaboration des services secrets parmi les dix études réalisées, celle de l’historien Peter Hug sur » Les relations militaires, nucléaires et de l’industrie de l’armement de la Suisse avec l’Afrique du Sud » jette une lumière crue sur la manière dont l’industrie helvétique a allégrement violé l’embargo sur les armes, décrété par l’ONU en 1963.
Elle a notamment été l’un des piliers du programme nucléaire secret de Pretoria, sous l’œil tolérant des autorités alors obsédées par la menace communiste. » Sulzer Ag et Vat Haag livrèrent des composants importants pour l’enrichissement de l’uranium sud-africain ; ces composants permirent de préparer la matière fissile nécessaire à la fabrication des six bombes atomiques produites par l’Afrique du Sud « , détaille ainsi l’auteur de ce rapport.
Mais, comme le relève le chercheur, cette collaboration s’est aussi déroulée sur un terrain plus idéologique. Dès 1965, un échange étroit d’informations entre services secrets a été mis en place
» contribuant directement à préparer la voie des commerces d’armes, à combattre les opposants à l’apartheid et à-renforcer la propagande politique en faveur du gouvernement sud-africain « , écrit M. Hug. Les uns et les autres se côtoyaient alors dans une atmosphère cordiale afin d’échanger leurs expériences. Le renseignement militaire sud-africain s’intéressant à la manière dont l’armée suisse combattait ses éléments » subversifs « . Dans les années 1980 apogée de la répression politique en[page]
Afrique du Sud, et âge d’or des liens économiques avec la Suisse, un lobby pro-sud-africain était solidement implanté en Confédération helvétique, en particulier dans l’entourage de l’attaché militaire sud-africain alors installé à Berne.
Parmi ses contacts privilégiés figurait un certain Christoph Blocher, alors président du groupe de travail » Afrique du Sud « , aujourd’hui conseiller fédéral ( ministre ), et leader nationaliste de l’U.D.C ( Union démocratique du centre, droite populiste ), le premier parti politique suisse.