Le pays dogon a produit pendant des siècles de grandes quantités de fer.

Une étude menée par Vincent Serneels, professeur à l’Institut de minéralogie et de pétrographie à l’université de Fribourg ( Suisse ), et plusieurs autres chercheurs, montre que la région de Bandiagara
( Mali ), située en pays dogon, a été un important site de production de fer du VIe au XIXe siècle.

La synthèse de leurs travaux sera publiée, début 2007, dans un numéro spécial de la revue Etudes maliennes. Effectuées dans le cadre du programme de recherche international Peuplement humain et paléoenvironnement en Afrique de l’Ouest, ces recherches ont mis en évidence une cinquantaine de sites de production, dont certains très importants.

A proximité des villages de Fiko, Kobo et Enndé, les archéo-métallurgistes ont ainsi relevé l’existence de plusieurs collines de scories, hautes de plus de dix mètres et longues de cent mètres, totalisant environ 200 000 tonnes.

A partir du tonnage des scories, il est possible de déduire la quantité de fer produite par les forgerons. Ainsi, à Fiko,  » nous évaluons le tonnage des scories à 27 000 tonnes et la production du fer à 17 000 tonnes « , précise Vincent Serneels, ajoutant :  » Soit environ 15 tonnes par an pendant plus de mille trois cents ans. « 

Cette activité métallurgique intense est attribuée aux Dogons, arrivés dans la région au XIVe siècle, et à leurs prédécesseurs. Ces travaux confirment l’intense activité métallurgique africaine, dont des traces remontant à 1 500 avant J.-C. ont été retrouvées dans plusieurs régions d’Afrique : les Grands Lacs, l’Afrique de l’Est ( Soudan, Ethiopie ) et toute la zone subsaharienne d’Afrique de l’Ouest. Après avoir longtemps supposé que les forgerons africains avaient emprunté leur savoir-faire au Proche-Orient, via l’Afrique du Nord et la vallée du Nil, de nombreux spécialistes estiment aujourd’hui que les Africains ont inventé eux-mêmes leurs propres techniques sidérurgiques.

Vincent Serneels et son équipe ont découvert que les forgerons du pays dogon, installés parfois à plusieurs kilomètres de distance, utilisaient des techniques de production fortement diversifiées. Certains possédaient une cuve d’un diamètre de 80 cm, avec cinq ouvertures à la base et un escalier en blocs de grès permettant d’enfourner le minerai et le charbon ( village d’Aridinyi ).

Ailleurs, les fourneaux possédaient une cuve en forme de fer à cheval de plus de 2 m de long, avec environ vingt-cinq ouvertures ( pour placer des tuyères ) et une porte frontale ( village de Fiko ).

Les scientifiques suisses émettent l’hypothèse que cette production du fer avait une double destination. Elle pouvait être, dans certains villages, affectée aux besoins des populations locales. D’autres sites devaient être plutôt dédiés à une production intensive, quasi industrielle, qui s’est échelonnée sur une longue durée.  » Cette activité était-elle libre ou forcée ? « , s’interroge Vincent Serneels. Des empires africains ont prospéré dès le Moyen Age dans le delta du Niger : Ghana ( IXe siècle ), Mali ( XIVe siècle ) et Songhaï ( XVIe siècle ).

 » Ils ont pu stimuler la production de fer pour des besoins agricoles et militaires « , suppute Vincent Serneels. Jusqu’au XIXe siècle, explique le chercheur, l’Afrique a été une  » société fondée sur le fer  » dans laquelle des forgerons habiles réalisaient des outils agricoles ( houes-machettes ) ainsi que des armes ( lances, pointes de flèche, couteaux ) pour la chasse et la guerre. Cette production intensive de fer a duré jusqu’au XIXe siècle. Elle a pris fin avec l’arrivée en masse du fer européen en Afrique, après la guerre de 1914.
( Source, article de ‘ Le Monde ‘ paru dans l’édition du 29/12/2006 )

Christiane Galus