Des descendants d’esclaves et de noirs victimes de ségrégation aux Etats-Unis multiplient les initiatives pour exiger des réparations morales et financières, encouragés par les indemnités obtenues par les travailleurs forcés sous le nazisme.
En 1865, les esclaves avaient gagné leur liberté et une promesse : celle d’être indemnisés avec
» 40 acres et une mule « , mais le Congrès américain ne tint jamais son engagement.
Près de 136 ans plus tard, beaucoup de noirs estiment que le temps est venu d’exiger leur dû :
» Le fait qu’il n’y ait plus de victimes et de bourreaux en vie n’a pas d’importance « , explique John Conyers, parlementaire noir promoteur d’un projet de loi visant à créer une commission pour étudier le dossier.
» L’esclavage et un siècle de ségrégation ont créé une situation d’exclusion » qui ne se rattrape pas du jour au lendemain, note Eric Foner, professeur d’histoire à Columbia University.
» Par exemple, l’accumulation de richesses dans les familles noires équivaut à un dixième de celles des blancs » aujourd’hui.
Ces derniers mois, l’idée de réparations aux descendants d’esclaves et de noirs victimes de ségrégation a gagné du terrain. En mars, une commission d’enquête mise en place par les autorités de l’Oklahoma a recommandé l’indemnisation de 120 noirs pour des émeutes raciales dont ils avaient été victimes en 1921.[page]
L’an dernier, le journal Hartford Courant a présenté ses excuses pour la publication d’annonces proposant des esclaves au 19e siècle, et une compagnie d’assurances, A.E.T.N.A., a regretté avoir vendu des polices d’assurance sur la vie d’esclaves.
En outre, au moins trois plaintes en nom collectif sont en préparation. L’une d’elles devrait être présentée avant la fin de l’année par un groupe d’avocats, le Comité de coordination des réparations.
Le but du comité, dont est membre l’ancien avocat d’O.J. Simpson, Johnnie Cochran, est d’obtenir des millions de dollars en dommage-intérêts.
» Nous étions nombreux à nous intéresser à cette question depuis le début des années 70, explique à l’AFP son président, Charles Ogletree, professeur de droit à Harvard, mais l’idée a pris plus de force, notamment après l’accord sur l’indemnisation des juifs « .
D’autres groupes, rappelle un autre avocat du groupe, Alexander Pires, ont déjà été indemnisés.[page]
Les Américains d’origine japonaise internés dans des camps pendant la seconde guerre mondiale avaient demandé des réparations sans succès dans les années 40. Finalement, en 1988, le Congrès a accepté le concept.[page]
Selon Mr Pires, la plainte s’attaquera essentiellement au gouvernement fédéral et à des
entreprises :
» assurances, banques, chemins de fer et industrie pétrolière « . Au minimum, une action en justice
» permettra d’éduquer l’Amérique et le monde sur les effets dévastateurs de l’esclavage (…) « , et d’instaurer » un dialogue sur la poursuite de la ségrégation » dans le pays, ajoute Charles Ogletree.
Certains pourtant critiquent cette démarche. » L’esclavage était une abomination (…) mais les noirs ont énormément profité des souffrances de leurs ancêtres « , affirme Walter Williams, intellectuel noir dirigeant le département d’études économiques de l’université George Mason. » La communauté noire américaine a un PIB qui équivaudrait à celui du 14e pays le plus riche du monde « , ajoute-t-il.
L’administration de George W. Bush ne semble pas disposée à se pencher sur ce dossier. » Les demandes de réparations financières et d’excuses formelles ne servent à rien pour répondre aux problèmes du racisme et de la discrimination aujourd’hui « , a ainsi déclaré mardi le porte-parole du département d’Etat, Richard Boucher.
( Dépêche AFP – juin 2001 )